#Roman francophone

Lauve le pur

Richard Millet

Il est professeur dans une banlieue difficile de Paris. Mais ses racines plongent au coeur de la province française : le Limousin, cette Corrèze des Piale, des Pythre, de tous ceux qui se débattent contre la maudissure. Dans ses classes les enfants sont durs et violents, peut-être le sont-ils d'autant plus qu'il est, lui, resté un enfant, l'enfant soumis d'un père tyrannique qui n'aime rien tant que contempler ses propres excréments tout en rêvant de forêts légendaires, l'enfant abandonné d'une mère trop tôt enfuie et qu'il recherche dans chaque femme. Lauve, Lauve le pur, est à jamais du côté de ceux qui ont tout perdu, qui ont toujours tort, ni là ni ailleurs, sans cesse autre part : intellectuel chez les paysans, provincial chez les parisiens, faible parmi les forts, innocent avec les innocents.

Par Richard Millet
Chez P.O.L

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Editeur

P.O.L

Genre

Littérature française

Ayez pitié de moi, Seigneur ; voyez l’état d’humiliation où mes ennemis m’ont réduit, vous qui me relevez et me retirez des portes de la mort, afin que j’annonce toutes vos louanges aux portes de la ville de Sion.

 

Psaume IX

 

 

 

 

I

 

 

« Ça m’a pris comme ça, voyez-vous, sous terre, sans doute à l’instant où le métro passait sous la Seine, entre Saint-Michel et Châtelet, vers dix heures et demie du soir, après les vacances de la Toussaint, quelques semaines avant la fin du siècle, alors que, pour la première fois, je n’étais pas retourné à Siom étant donné qu’il repose à présent là-haut, derrière lou brau, sur cette colline dont on a abattu presque tous les arbres afin, avait dit le maire, que ce soit mieux aéré et la vue encore plus large, plus belle ; si bien que de là-haut, sur la route de Limoges, on peut maintenant s’arrêter, contempler le lac, les contreforts du haut plateau et ce qui reste de Siom, en contrebas, parmi les jeunes chênes, les hêtres, les sapins, les bosquets de genêts, comme si, avait ajouté le maire, le cimetière ne devait plus avoir, à notre époque, d’autre fonction que celle de pittoresque premier plan avec, à contre-jour, au bas du ciel, ses croix entre lesquelles les voyageurs qui s’arrêtent pour pisser contre le muret d’enclos, dans les fougères et les orties, découvrent, en levant la tête, lorsqu’ils ont cessé de regarder ce qui fait qu’ils ne sont pas des femmes, d’autres collines, plus basses, à perte de vue : autant de collines, peut-être, qu’il y a de croix dressées sur les caveaux et les tombes, certaines plus hautes que d’autres, bien réparties le long des quatre allées qui forment elles-mêmes une croix, debout pour la plupart, les croix de granit comme celles de bois, de fer ou de marbre, et ces petites croix que les cimes des jeunes sapins, plus bas, dressent dans l’or du soir. »

Oui, presque toutes debout et aussi droites qu’il s’était tenu, lui, un soir de novembre dernier, dans ce wagon de métro à demi vide, avait-il ajouté sur un ton quasi indifférent : la voix qu’il avait toujours eue, ici, à Siom, et probablement ailleurs ; une voix si calme et si pâle qu’elle nous forçait à nous arrêter, à tourner la tête vers ce trop jeune gars, ce blanc-bec, cette blanchaille, et poliment, en faisant preuve d’un respect qu’il ne nous inspirait pourtant guère, tout professeur qu’il était devenu, même si nous autres, les derniers Siomois, n’avons plus de respect que pour les lois et les institutions – pour ce qui a pu nous empêcher d’entrer vivants, seuls, ignorants, désabusés, dans notre propre nuit. Nous arrêtant, donc, nous asseyant même, ce premier soir de juillet, dans le pré qui est devant chez Nespoux, au bord de la rue haute, parmi les ultimes chants d’oiseaux, et l’écoutant, lui, le jeune Lauve, nous raconter ce qui l’avait pris, cette nuit de novembre, ce qui s’était emparé de lui dans les entrailles de la capitale, avait-il ajouté en se lançant dans une phrase sans fin, de celles qu’il devait servir à ses élèves, là-bas, à Paris : un soudain mal de ventre, une sueur froide, des convulsions, alors qu’il sortait du restaurant où il avait dîné, un mercredi, ayant comme tous les mercredis quitté son appartement de Nogent-sur-Marne, dans la banlieue, pour aller dîner seul à Paris, afin, avait-il précisé, de ne pas devenir fadard comme le dernier des Pythre ou rebusant comme cette vieille chouette d’Yvonne Piale et comme tant d’autres, à Siom, qui n’avaient pas su sortir d’eux-mêmes.

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04/01/2000 297 pages 19,35 €
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