Editeur
Genre
Histoire internationale
CHAPITRE I
FIANÇAILLES ET MARIAGE
o De Winston
16 avril 1908
12 Bolton Street, [Londres] W.
Je suis de retour ici pour une nuit et une journée en vue du « baisemain » qui va avec ma nomination & je saisis cette fugace heure de loisir pour écrire & vous dire à quel point j’ai apprécié notre longue conversation de dimanche, et quel réconfort et quel plaisir cela a été pour moi de rencontrer une jeune fille avec tant de qualités intellectuelles & de telles réserves de nobles sentiments. J’espère que nous nous reverrons et que nous aurons l’occasion de faire mieux connaissance et de nous apprécier davantage – et je ne vois pas ce qui pourrait y faire obstacle. Le temps passe vite et les six semaines où vous allez être à l’étranger seront bientôt écoulées. Écrivez-moi donc pour me dire quels sont vos projets, comment vous occupez vos journées, & surtout quand vous revenez. Dans l’intervalle, je vous raconterai de temps en temps comment les choses se passent pour moi ici, au milieu de la tempête ; et nous pourrons peut-être jeter les fondations d’une amitié franche & lucide, que pour ma part je priserais et chérirais avec de nombreux sentiments de respect.
Jusqu’ici, le combat de Manchester a été très napoléonien dans ses débuts & sa poursuite. Les trois jours que j’ai déjà passés dans la ville ont produit un très heureux changement dans le moral de mes amis, & des modifications pas moins satisfaisantes dans les différentes forces politiques. Les juifs, les Irlandais, les libre-échangistes unionistes – ces trois éléments incertains – que l’on supposait perdus sont revenus ou en train de revenir au bercail, & je ne crains guère de les voir ne pas voter en bloc pour moi vendredi.
Le candidat socialiste ne fait pas grand progrès car il a été lâché par le Parti travailliste. Il va cependant me priver de pas mal de voix et c’est là l’élément le plus inquiétant dans une situation par ailleurs bonne et en voie d’amélioration rapide. Au risque qu’un résultat contraire soit proclamé avant que ma lettre ne vous rattrape, je dois dire que j’ai confiance en un solide succès. Lady Dorothy1 est venue de son plein gré – seule & indépendante. Je l’ai taquinée en refusant de lui donner une réponse précise sur le vote des femmes et elle est repartie illico pour le nord d’une humeur parfaitement intraitable. Pourtant, en lisant mes réponses faites en public, elle est revenue et elle mène le combat comme Diane pour les Grecs – grande dame remarquable à tous points de vue. Mais ma parole quel tyran ! Un esprit de marbre – calme et sans détour, précis, implacable dans sa logique dépourvue de toute souplesse –, une chose à admirer, mais à laquelle il ne faut pas se frotter. Malgré tout adorable !
Je n’ai jamais attaché grand crédit aux formules & aux catégorisations. L’esprit humain & encore plus le langage humain sont très inadéquats pour rendre justice à la variété & à la complexité infinies des phénomènes. Les femmes en sont si rarement conscientes. Quand elles se mettent à penser elles sont si sûres d’avoir raison. Or la nature ne procède jamais en noir ou en blanc. C’est toujours quelque nuance de gris. Elle ne tire jamais un trait sans lui laisser des bavures. Et il faut toujours une certaine marge de latitude même en ce qui concerne les convictions les plus profondes & les plus assurées. Mais peut-être direz-vous qu’il ne s’agit là que des sophismes d’un opportuniste en politique. Oui ? Eh bien, je ne m’en offusquerai pas – dites-le donc dans une belle lettre à
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