#Essais

Le Coran. Nouvelles approches

Mehdi Azaiez, Sabrina Mervin

En l’absence de véritable édition critique du texte sacré, de nombreuses questions relatives au Coran sont longtemps restées sans réponse. Pourquoi la première compilation des sourates a-t-elle eu lieu sous Abû Bakr, le premier calife ? Quels sont les emprunts coraniques aux langues non arabes ? Comment établir la datation des différents versets ? Le dogme du caractère inimitable du Coran, transcription écrite de la parole divine, a-t-il véritablement fait obstacle aux premières tentatives de traductions ? Depuis une dizaine d’années, la diversification des études sur le Coran renouvelle en profondeur ces problématiques. L’élargissement notable des sources, manuscrites, épigraphiques ou archéologiques, la multiplication des travaux, l’apparition de nouvelles techniques d’exégèse ont bouleversé les approches traditionnelles. L’histoire du texte, ses formes littéraires et sa langue, ses relations à la littérature biblique et parabiblique, son inscription dans le contexte historique de l’Antiquité tardive, font aujourd’hui l’objet d’hypothèses révolutionnaires. Rassemblant les contributions d’universitaires français et étrangers les plus réputés, cet ouvrage propose un état de la situation et envisage les axes de recherche les plus avancés.

Par Mehdi Azaiez, Sabrina Mervin
Chez CNRS

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Editeur

CNRS

Genre

Religion

 

 

Introduction1

 

 

Mehdi Azaiez

 

I

 

En 1908, dans un article intitulé « Zur Strophik des Qurāns2 », Rudolf Eugen Geyer, éminent spécialiste viennois de la poésie arabe3, soulignait déjà l’impérieuse nécessité d’établir une édition critique du Coran. Il écrivait alors : « Toute science coranique sera contrainte d’œuvrer sur un terrain très incertain aussi longtemps qu’un des réquisits fondamentaux de son équipement lui fera défaut : une édition européenne du Coran qui corresponde vraiment aux exigences de la critique, de manière coopérative et concluante, pourvue de tout l’appareil historique, philologique et liturgique, et de celui qui est en usage en histoire des religions4 ». Pourtant, un siècle plus tard, un constat s’impose : il n’existe toujours pas d’édition critique du Coran qui satisfasse aux exigences d’une philologie rigoureuse. À l’évidence, la situation contraste ô combien avec la recherche académique autour de la Bible. En 1898, le Nouveau Testament bénéficiait déjà d’un apparat critique avec la parution à Stuttgart, du Novum Testamentum Graece5 d’Eberhard Nestlé (révisé par Barbara et Kurt Aland) de la société Biblique du Wurtemberg. Cet ouvrage de référence, sans cesse amélioré tout au long du XXe siècle, demeure encore aujourd’hui l’instrument privilégié des exégètes6.

Loin de disposer d’un tel apparat critique, la recherche académique sur le Coran s’appuie très largement sur la fameuse édition du Caire publiée le 10 juillet 1924 (ḏū l-ḥiğğa 7, 13427). L’établissement de ce texte n’avait aucunement l’ambition d’être une entreprise critique. Conduite sous la direction de Muḥammad b. ʿAlī al Ḥusaynī al-Ḥaddād, elle visait à unifier le texte coranique en privilégiant le choix d’une lecture pour faciliter, à des fins strictement pédagogiques, l’enseignement religieux en Égypte. Comme on le sait, cette édition fut rigoureusement fidèle à la « lecture » (au sens de la tradition islamique) de Ḥafṣ (m. en 180/796) ʿan ʻĀṣim8 (m. 127/745) occultant ainsi toutes les autres variae lectiones ou qirā’āt9. Le travail accompli fut salué par les meilleurs spécialistes occidentaux10 et devint rapidement l’équivalent d’une édition « officielle » (« der amtliche Koran11 ») largement diffusée à travers le monde musulman. Mais ce succès qui ne s’est jamais démenti n’est pas sans conséquence. En privilégiant une seule lecture, l’édition du Caire avalisait de facto un discours théologique maintenant l’illusion d’un Coran unique, fixé d’un seul tenant sans rapport avec l’histoire progressive de son élaboration12.

Pourtant, si l’édition du Caire avait une finalité sans lien avec des préoccupations philologiques, l’ambition d’écrire une histoire du muṣḥaf fut planifiée dès les années 1930. Sous l’impulsion de trois célèbres chercheurs, Gotthelf Bergsträsser, Arthur Jeffery et Otto Pretzl, il avait été décidé d’établir un apparat critique à l’appui d’un travail méthodique qui succédait à une recherche minutieuse des plus anciens manuscrits connus13. Les morts successives et prématurées de Gotthelf Bergsträsser et Otto Pretzl auront malheureusement mis fin au projet. De surcroît, la (prétendue) destruction des archives de Munich lors des bombardements de la Seconde Guerre mondiale contribua à retarder durablement une telle initiative. Il s’avéra en réalité que ces archives abritant les fameux microfilms rassemblant les photographies des manuscrits coraniques furent préservées. En effet, ils restèrent en possession d’Anton Spitaler pendant plusieurs décennies sans que jamais celui-ci ne reprenne le projet en main14.

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28/11/2013 340 pages 25,00 €
Scannez le code barre 9782271079183
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