Introduction
«Va à Paris! et bientôt. Prends place auprès des grands seigneurs, aut Cesar aut nihil […]. C’est de Paris que le renom et la gloire d’un homme de grand talent parviennent au monde entier, la noblesse y considère les gens de talent avec la plus grande déférence, estime et courtoisie».
Leopold Mozart1
Les historiens n’aimeraient-ils pas la musique? On serait tenté de le penser si l’on considère la part qui lui revient dans la plupart de leurs livres. Cette lacune est d’autant plus surprenante que la même parcimonie ne se retrouve pas pour les autres arts. Il est indéniable que pendant longtemps l’histoire et la musicologie sont restées deux mondes imperméables l’un à l’autre2. Les historiens de l’Ancien Régime ne s’aventurent guère dans le monde des sons. Les études prosopographiques sont souvent décevantes quant à leur contenu musical. La plupart du temps, ce sont les mêmes éléments qui ressurgissent en quelques lignes d’une étude à l’autre. Rares sont ceux qui se situent à contre-courant de cette tendance lourde en accordant à la musique plus qu’une mention polie et minimale au hasard d’une page. Il y a plus de trente ans, Pierre Chaunu avait esquissé une rencontre en montrant l’empire de la musique dans la civilisation des Lumières3. Dans leur ouvrage Les Français et l’Ancien Régime, Pierre Goubert et Daniel Roche avaient eux aussi consacré quelques pages pénétrantes au monde des sons4. La Naissance de l’intime d’Annick Pardailhé-Galabrun évoque la présence des instruments de musique dans les intérieurs parisiens aux XVIIe et XVIIIe siècles5. Sylvie Granger est l’auteur d’une monographie relative aux musiciens du Mans entre 1600 et 18506. Jean-Marie Duhamel a enraciné son étude sur la vie musicale dans l’histoire urbaine7. Antoine Lilti consacre quelques pages sur le rôle de la musique dans les plaisirs du salon au XVIIIe siècle8. Les interrogations actuelles des historiens, qu’il s’agisse de la sociabilité, des sensibilités, des échanges culturels, notamment du marché des biens symboliques, ou de la consommation artistique, n’ont encore que peu investi la sphère musicale.
La musicologie a, pour sa part, longtemps considéré l’histoire de la musique comme celle des compositeurs et de leurs œuvres, voire de leurs chefs-d’œuvre. Elle s’est également tournée vers l’étude des institutions musicales mais, le plus souvent, selon une approche trop analytique et sans les relier à leurs usagers. Depuis une vingtaine d’années seulement, elle s’est attelée à défricher de nouveaux champs. Les interactions entre musique et société ou la question de la réception sont désormais devenues des interrogations centrales9. Si bien que l’histoire sociale de la musique est devenue un point d’ancrage, une branche de la musicologie. À cet égard, les études sur le concert et son histoire jouent, à ce jour, un rôle pionnier. Envisagé comme objet historique et comme phénomène social et culturel, il a suscité la création de séminaires de recherche transdisciplinaires et des publications. Celui consacré à l’histoire du concert en France de l’Ancien Régime à la Première Guerre mondiale (Institut Universitaire de France), initié en 2001 par Patrick Taïeb et Hervé Lacombe, se fixe comme principale mission la création d’un répertoire des programmes de concert en France pour les XVIIIe et XIXe siècles. Le séminaire Histoire des pratiques culturelles de la musique 1700-1920 coordonné par Hans Erich Bödecker, Patrice Veit et Michael Werner, dans le cadre de la Fondation européenne de la science, se propose également d’inscrire la musique dans une histoire sociale de la culture en rompant les cloisonnements entre les approches historiques, sociologiques et musicologiques10.
Extraits
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