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L'avènement du monde. Essai sur l'habitation humaine de la Terre

Michel Lussault

En un demi-siècle le monde est devenu le Monde. Avec cette majuscule, il ne s’agit pas de dire que le monde a changé sous l’effet de la mondialisation, mais d’affirmer qu’il est véritablement advenu, subvertissant les ordres anciens (Empires, États, villes, etc.) et les catégories intellectuelles qui nous permettaient de les penser. Il s’agit aussi de dire que la mondialisation est bien plus qu’une dynamique d'internationalisation, bien plus qu’un « contexte ». Qu’elle bouleverse tout et construit de nouveaux cadres de vie et d’organisation des sociétés humaines. Les mutations sont de tous ordres et l’on peine encore à stabiliser les analyses, ans doute parce que nos outils conceptuels, forgés au XIXe et au XXe siècle sont désormais largement inadaptés. Ce livre ambitieux souhaite sortir de cette impasse et cerner quelques-unes des forces instituantes et imaginantes du Monde, et en particulier l’urbain, parce que le Monde se manifeste d’abord et surtout par de nouvelles manières d’habiter la terre. Le Monde est une nouvelle organisation spatiale des réalités sociales, produisant des imaginaires inédits et contribuant à la création et à la diffusion d’images qui en elles-mêmes expriment la mondialité. Car, qui que nous soyons et où que nous nous trouvions, le Monde nous traverse de part en part en permanence : nous en sommes chacun tout à la fois, un produit, un jouet, un vecteur, un acteur. À partir de là, comment imaginer une « politique du Monde », quand on sait que l’avenir dépendra de notre capacité commune à garantir son habitabilité pour les décennies qui viennent ?

Par Michel Lussault
Chez Seuil

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Editeur

Seuil

Genre

Géographie

 

 

 

 

Pour commencer L’origine du Monde

 

 

Faces de la Terre

 

Il a suffi de deux photographies, réalisées à quatre ans d’intervalle au moyen d’un Hasselblad, pour que rien ne soit plus comme avant. Deux photographies – prises presque au débotté, ou à tout le moins de façon incidente – devant lesquelles les spectateurs, à chaque fois, n’en crurent tout d’abord pas leurs yeux. Deux photographies qui peuvent être considérées comme les images parmi les plus importantes de la culture visuelle de l’humanité dans la mesure où elles mettent en scène frontalement, et de manière inédite, la question même de l’humanité6.

La première fut prise par un astronaute américain, William Anders, lors de la mission d’Apollo 8, le 24 décembre 1968. L’équipage du vaisseau a instinctivement senti que le spectacle qu’il contemplait devait être fixé, immortalisé : celui d’un « lever de Terre », exceptionnel, où un demi-globe illuminé s’élève au-dessus du premier plan formé par la Lune – autour de laquelle tournait la capsule spatiale. Ainsi naquit Earthrise, image dont le succès allait être immédiat et durable7.

La seconde est peut-être plus célèbre encore. Prise par Ronald E. Evans lors de la mission Apollo 17, le 7 décembre 1972, à 45 000 kilomètres de la Terre, cette image est la première à saisir en couleurs si parfaitement la rotondité de la planète, vue de l’espace. Ce sera aussi la dernière prise par un acteur humain, puisque Apollo 17 fut l’ultime mission lunaire habitée à ce jour et son équipage le dernier à pouvoir saisir le globe dans son entièreté. Centrée sur l’Afrique (et pour la première fois aussi parvenant à montrer l’Antarctique), elle fut intitulée Blue Marble, car les astronautes, alors que le soleil derrière eux illuminait parfaitement la sphère terrestre, la décrivirent, tout à la fois étrange, étrangère et familière, comme un disque parfait de marbre bleuté.

Cette photographie est immédiatement devenue un symbole utilisé tant pour magnifier la planète que pour mettre en évidence sa fragilité (Al Gore s’en sert dans son film, An Inconvenient Truth), sans même parler des innombrables usages publicitaires, artistiques, de ce « cliché », désormais dans le domaine public. La NASA utilise aujourd’hui la « marque » Blue Marble pour toutes les images de la Terre qu’elle produit via les moyens satellites actuels.

Ces deux clichés marquent pour l’humanité l’avènement du Monde, c’est-à-dire l’irruption irréversible d’un nouvel espace social d’échelle planétaire. L’un et l’autre ont été pris par des astronautes propulsés hors de l’orbite terrestre, donc dans une position d’extériorité extra-ordinaire pour des individus, qui permettait de contempler la Terre, à distance, comme un corps stellaire dont ils se détachaient, s’arrachaient. Mais un objet céleste bien différent des autres, à leurs yeux d’hommes contemplant leur habitat désormais éloigné et pourtant saisissable dans sa globalité. Cette situation paradoxale de prise de vue fonde la puissance des deux images : un humain centrifugé en route vers la Lune, mais qui trouve dans cette sortie de l’écoumène la condition même de la seule vraie appréhension de cette sphère vitale.

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28/02/2013 296 pages 22,00 €
Scannez le code barre 9782020966641
9782020966641
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