Préface
On peut rassurer d’emblée Christophe Bourseiller, en répondant à la question qu’il pose aux premières lignes de son ouvrage : oui, il y a bien quelque chose « à penser » de l’extrémisme. Non que ce ne soit pas un « terme vague ». Ça l’est en quelque sorte par définition. Certains, pour se distinguer, n’ont-ils même pas forgé la notion, guère plus discutable, d’extrême-centre ? L’extrémisme ne peut pas être à tous les coups une doctrine – l’analyse détaillée du destin de tant de groupuscules, exercice dans lequel l’auteur est passé maître depuis longtemps, est là pour le montrer – mais, assurément, c’est une position et une situation. Une position, car ces mouvements partagent entre eux des présupposés communs, par delà leurs distances idéologiques, évidemment énormes si on prend leur discours au pied de la lettre. Une situation, en ce qu’ils jouent un rôle au sein de la société politique, qu’elle soit nationale ou mondiale.
Étant de ceux qui ne sauraient, en quelque domaine que ce soit, faire l’économie d’une analyse en termes psychologiques, je n’exclus pas que l’entrée en extrémisme soit, plus que le résultat d’une démarche raisonnée, l’effet d’un caractère. L’extrémiste est, avant toute chose, une personnalité mécontente, violente et manichéenne. Il souffre devant le monde tel qu’il est, ou qu’il croit être, mais, à la différence de la plupart des malheureux vivant à la surface de la terre, il a trouvé une solution collective, qui passe par une révolution (y compris l’extrémiste de droite : le concept d’involution, parfois utilisé, est à cet égard inutile). Il ne croit pas aux solutions modérées, à une politique du compromis – tout au plus, et encore pas toujours, au compromis tactique, visant à faire avancer la Cause. Les mouvements religieux, considérés ici comme la forme pré-moderne des mouvements politiques, ont connu nombre de ces collectivités et de ces individus dits (par leurs adversaires) « sectaires ». Cette proximité psychologique éclaire le zèle des convertis. On sait qu’on fait de farouches anti-communistes avec des « ex » ; nombreux sont les itinéraires à la Doriot, passant d’un extrême à l’autre, refusant l’entre-deux. On sait moins que, puisque le communisme fut un temps « dans le sens de l’Histoire », il comprit en son sein, dans tous les pays, une petite poignée – souvent non négligeable en termes intellectuels – d’anciens militants d’extrême droite passés avec armes et bagages au radicalisme symétriquement inverse.
Faut-il ajouter à la panoplie le tropisme autoritaire ? Assurément, les organisations dont Christophe Bourseiller suit à la trace le cheminement fonctionnent-elles à peu près toutes sur un modèle autoritaire, lui-même annonciateur de celui qu’on souhaite appliquer à la société. Mais pas toutes, puisqu’il faut faire une place à l’anarchisme pur et parfait : à cette réserve près qu’ici le refus de l’autorité prend une forme tellement radicale qu’elle s’exprime de manière violente – en paroles, sinon toujours en actes. Plutôt que l’autorité c’est donc plutôt la violence qui entrerait dans le modèle. En actes, parfois, en paroles, souvent, en posture, toujours. L’extrémisme culturel – pas absent de ce livre, au travers, par exemple, d’une figure comme celle d’un Guy Debord, elle-même reprise de celle d’un André Breton – en participe, avec, au reste, une fécondité beaucoup plus repérable que celle de l’extrémisme proprement politique.
Extraits
Commenter ce livre