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Tempètes microbiennes. Essai sur la politique de sécurité sanitaire dans le monde transatlantique

Patrick Zylberman

A l'Ouest, du nouveau. Fin septembre 2005, le coordinateur pour la lutte contre la grippe aviaire et humaine à Genève prédisait de 2 à 150 millions de morts dans le monde lors d'une prochaine pandémie, «comme en 1918 !» tenait-il à préciser. Assurément, un nouveau spectre hante le monde transatlantique : la terreur biologique. Les États planchent sur des scénarios catastrophes, afin que l'économie mondiale ne soit pas frappée, du jour au lendemain, par la mise hors travail de cadres dirigeants et de simples ouvriers affaiblis par l'infection. Cette peinture des «tempêtes microbiennes» traduit une amplification considérable de l'idée de sécurité sanitaire et une dégringolade vertigineuse dans la fiction (chiffres exagérés, analogies sans fondement, etc.) lorsqu'il s'agit de définir la prévention contre les menaces microbiennes et les procédures de gestion des crises épidémiques. Patrick Zylberman dégage trois grands axes de la sécurité sanitaire : La place grandissante faite aux scénarios (fictions qui feignent le réel en proposant des situations imaginaires mais propices à l'apprentissage des réflexes et comportements visant à la maîtrise des événements) ; - Le choix systématique de la logique du pire comme régime de rationalité de la crise microbienne. Or l'événement déjoue les prévisions : il est toujours autre chose. Les scénarios du pire deviennent un handicap pour la pensée, parce qu'ils demeurent prisonniers de la modélisation ; - L'organisation du corps civique : dans l'espoir de renforcer l'adhésion aux institutions politiques et de faire face à la désorganisation sociale engendrée par la crise épidémique, les démocraties sont de plus en plus tentées d'imposer un civisme au superlatif (l'accent est mis sur les devoirs et les obligations du citoyen comme sur la nécessité de faire preuve d'altruisme), qu'il s'agisse des quarantaines, de la vaccination, voire de la constitution de réserves sanitaires sur le modèle des réserves de la sécurité civile. Ce faisant, la sécurité sanitaire transatlantique contribue à la crise de l'État-nation. Afin de maîtriser des problèmes qui sont précisément inter-nationaux dans leur nature, les États adoptent des solutions globales, même ceux qui, comme les États-Unis ou la Chine, se montrent d'ordinaire extrêmement chatouilleux sur le chapitre de la souveraineté nationale.

Par Patrick Zylberman
Chez Editions Gallimard

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Genre

Généralités médicales

 

 

 

AVANT-PROPOS

 

 

Tout concourt aujourd’hui à exalter la logique du pire sur laquelle s’appuie l’intelligence de la terreur biologique. Fin septembre 2005, le nouveau coordinateur pour la grippe aviaire et humaine à Genève n’hésitait pas à prédire de 2 à 150 millions de morts dans le monde lors d’une prochaine pandémie. Quelques mois plus tôt, l’OMS avait cité le chiffre de 50 millions de décès : « comme en 19181 ! » « Comme en 1918 » : ces mots allaient devenir le refrain, la scie, le logo de la période. Ne verrait-on pas, en février 2006, à Boston, Anthony Fauci, directeur du National Institute of Allergy and Infectious Diseases de Bethesda (NIAID), brandir devant une assistance médusée, tel le mané thécel pharès tracé par la main sur le mur, une pancarte témoignant des horreurs de la grippe « espagnole » ? C’est qu’entre août 2004 et novembre 2005 le nombre des morts en sursis a soudain décuplé. L’administration américaine est passée de l’hypothèse d’une pandémie « modérée » à celle d’une pandémie « sévère » : « comme en 19182 » ! C’est aussi cette dernière hypothèse que retenaient les experts français quelques mois plus tôt3. (Selon un scénario optimiste, près de 30 millions de personnes auraient pu être hospitalisés dans le monde, et 7 millions décéder au cours de la pandémie4.)

La peur, à cet instant, coule d’un fil étrangement sonore. À l’été 2005 paraît ainsi dans Foreign Affairs un papier intitulé « Faire face à la pandémie qui vient5 ». Son auteur, Michael T. Osterholm, est professeur à la Minnesota School of Public Health et directeur du Centre de recherche et de politique des maladies infectieuses à Washington. Dépassé seulement dans sa tonalité alarmiste par l’éditorial de Nature du 26 mai6, c’est un tableau inquiétant du désastre sanitaire qui s’annonce.

Osterholm imagine trois scénarios. Aujourd’hui, dans un an, dans dix ans, le virus s’étant humanisé, la grippe aviaire qui sévissait en Asie inonde la planète. L’auteur a mis un peu d’exagération dans ses craintes. À le suivre, la dissémination pandémique d’une nouvelle souche virale va déclencher une crise universelle d’une gravité insoupçonnée. Alarmés par la pénurie de vaccins, les pays producteurs (Australie, Canada, France, Allemagne, Italie, Japon, Hollande, Grande-Bretagne et États-Unis : soit 12 % de la population mondiale) décident sur-le-champ de nationaliser leur production, comme les États-Unis, en 1976, au moment de la « grippe du porc ». Rapidement, les établissements hospitaliers sont submergés et les équipements de soins (comme les respirateurs artificiels) ou de protection (masques) font défaut. Encore n’est-ce là que la moindre partie de leurs malheurs. Comme ce fut le cas lors de la grippe « espagnole », décimées par la contagion, les équipes soignantes ne sont bientôt plus en mesure de remplir leur mission. Les dirigeants doivent affronter des opinions affolées qui réclament la vaccination en masse (impraticable en raison de stocks insuffisants ou des effets adverses) et ne comprennent guère la sélection des personnes et des groupes à qui sont délivrés en priorité des médicaments antiviraux dont on ignore de surcroît s’ils protègent vraiment contre le nouveau virus. Affaiblie par la maladie, la troupe est mobilisée afin de défendre les stocks de vaccins et de médicaments, mais aussi de parer au maintien de l’ordre. Du jour au lendemain l’économie mondiale est tombée en panne. Cadres dirigeants, simples ouvriers, la moitié de la population se retrouve hors d’état de travailler. L’approvisionnement des produits de première nécessité ne peut plus partout être assuré. Plus de crédit, plus d’affaires ; la terreur est à son comble7. Ni le VIH, ni le paludisme, ni la tuberculose n’ont soulevé un tel effroi. Seul le SRAS, au printemps 2003… En 2008, la fièvre semble (momentanément) retombée : « Le risque a été surestimé », grogne-t-on du côté de l’Organisation internationale des épizooties.

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28/03/2013 672 pages 26,90 €
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