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Généralités médicales
AVANT-PROPOS
Tout concourt aujourd’hui à exalter la logique du pire sur laquelle s’appuie l’intelligence de la terreur biologique. Fin septembre 2005, le nouveau coordinateur pour la grippe aviaire et humaine à Genève n’hésitait pas à prédire de 2 à 150 millions de morts dans le monde lors d’une prochaine pandémie. Quelques mois plus tôt, l’OMS avait cité le chiffre de 50 millions de décès : « comme en 19181 ! » « Comme en 1918 » : ces mots allaient devenir le refrain, la scie, le logo de la période. Ne verrait-on pas, en février 2006, à Boston, Anthony Fauci, directeur du National Institute of Allergy and Infectious Diseases de Bethesda (NIAID), brandir devant une assistance médusée, tel le mané thécel pharès tracé par la main sur le mur, une pancarte témoignant des horreurs de la grippe « espagnole » ? C’est qu’entre août 2004 et novembre 2005 le nombre des morts en sursis a soudain décuplé. L’administration américaine est passée de l’hypothèse d’une pandémie « modérée » à celle d’une pandémie « sévère » : « comme en 19182 » ! C’est aussi cette dernière hypothèse que retenaient les experts français quelques mois plus tôt3. (Selon un scénario optimiste, près de 30 millions de personnes auraient pu être hospitalisés dans le monde, et 7 millions décéder au cours de la pandémie4.)
La peur, à cet instant, coule d’un fil étrangement sonore. À l’été 2005 paraît ainsi dans Foreign Affairs un papier intitulé « Faire face à la pandémie qui vient5 ». Son auteur, Michael T. Osterholm, est professeur à la Minnesota School of Public Health et directeur du Centre de recherche et de politique des maladies infectieuses à Washington. Dépassé seulement dans sa tonalité alarmiste par l’éditorial de Nature du 26 mai6, c’est un tableau inquiétant du désastre sanitaire qui s’annonce.
Osterholm imagine trois scénarios. Aujourd’hui, dans un an, dans dix ans, le virus s’étant humanisé, la grippe aviaire qui sévissait en Asie inonde la planète. L’auteur a mis un peu d’exagération dans ses craintes. À le suivre, la dissémination pandémique d’une nouvelle souche virale va déclencher une crise universelle d’une gravité insoupçonnée. Alarmés par la pénurie de vaccins, les pays producteurs (Australie, Canada, France, Allemagne, Italie, Japon, Hollande, Grande-Bretagne et États-Unis : soit 12 % de la population mondiale) décident sur-le-champ de nationaliser leur production, comme les États-Unis, en 1976, au moment de la « grippe du porc ». Rapidement, les établissements hospitaliers sont submergés et les équipements de soins (comme les respirateurs artificiels) ou de protection (masques) font défaut. Encore n’est-ce là que la moindre partie de leurs malheurs. Comme ce fut le cas lors de la grippe « espagnole », décimées par la contagion, les équipes soignantes ne sont bientôt plus en mesure de remplir leur mission. Les dirigeants doivent affronter des opinions affolées qui réclament la vaccination en masse (impraticable en raison de stocks insuffisants ou des effets adverses) et ne comprennent guère la sélection des personnes et des groupes à qui sont délivrés en priorité des médicaments antiviraux dont on ignore de surcroît s’ils protègent vraiment contre le nouveau virus. Affaiblie par la maladie, la troupe est mobilisée afin de défendre les stocks de vaccins et de médicaments, mais aussi de parer au maintien de l’ordre. Du jour au lendemain l’économie mondiale est tombée en panne. Cadres dirigeants, simples ouvriers, la moitié de la population se retrouve hors d’état de travailler. L’approvisionnement des produits de première nécessité ne peut plus partout être assuré. Plus de crédit, plus d’affaires ; la terreur est à son comble7. Ni le VIH, ni le paludisme, ni la tuberculose n’ont soulevé un tel effroi. Seul le SRAS, au printemps 2003… En 2008, la fièvre semble (momentanément) retombée : « Le risque a été surestimé », grogne-t-on du côté de l’Organisation internationale des épizooties.
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