Mise en bouche
Durant l’année scolaire 2008-2009, j’ai participé, dans un hôpital de jour pour enfants – l’Unité de Soins Intensifs du Soir du XIVe arrondissement de Paris –, à ce qu’on a coutume d’appeler, en institution, un « atelier thérapeutique ». (Cet atelier s’inscrivait dans le cadre des résidences d’écrivains que soutient, depuis maintenant plusieurs années, le conseil régional d’Île-de-France). Nos activités n’avaient pas directement à voir avec le poème : elles s’articulaient plutôt autour de la description d’œuvres d’art – avec les élaborations symboliques que l’exercice implique et qui posent généralement d’importants problèmes aux enfants pris en charge dans cette unité. Il nous avait semblé, en réfléchissant au projet, que quelque chose de nourrissant pour chacun pourrait peut-être surgir à l’intersection de deux mouvements en apparence opposés : celui de ces enfants, assaillis d’images souvent très violentes et auxquels la lettre fait majoritairement défaut pour les penser ; et celui de l’écrivain dont les mots et le sens sont sous un certain angle les agresseurs perpétuels, et qui cherche la plupart du temps en vain à les figer dans des images sidérantes.
Rien ne s’est heureusement déroulé comme prévu – le livre que j’envisageais avant de commencer ma résidence à l’Usis n’a par exemple rien à voir avec celui que vous tenez –, mais, de cet atelier lui-même, je ne dirai naturellement pas un mot. Simplement qu’à la fin de chaque séance, nous déjeunions ensemble, adultes et enfants, dans un restaurant voisin de l’hôpital, dans un parc, ou bien à l’Usis même, le plus souvent d’un sandwich. Et que, progressivement, ce sandwich est devenu pour les enfants un objet de réconfort autour duquel notre petit groupe se ressoudait chaque fois que des tensions trop fortes en menaçaient la cohésion, voire l’existence.
À la fin de l’automne, ayant eu connaissance de ce travail en cours, les éditions Le Mot et le reste m’ont proposé de participer à un livre un peu particulier : une « anthologie de poésie contemporaine pour lecteurs en herbe ». Mais répondre à cette invitation supposait de contourner une difficulté. « Les-enfants », comme entité, existe difficilement pour moi : il n’y a véritablement qu’un enfant possible à chaque fois. Il me semblait donc que des « poèmes pour enfants » ne pouvaient pas non plus exister ; je ne parvenais en tout cas pas à les imaginer. Les petits d’homme présentent pourtant entre eux un point commun : ils jouent (du moins tous ceux qui le peuvent). Quitte à m’adresser à des enfants indéfinis, me suis-je donc dit au moment de répondre à l’éditeur, autant leur proposer de jouer. Or, parmi les pistes explorées pour parvenir à créer le type de jeu qui m’intéressait, y étant moi-même sensible depuis longtemps, j’ai repensé à une fameuse lettre cryptée de George Sand à Alfred de Musset – lettre que la légende littéraire attribue en tout cas à George Sand. L’auteur y mixe en quelque sorte deux voix : une prose d’amour très chaste et un billet plein de fougue érotique. Il suffit, pour voir apparaître le second, de ne lire qu’une ligne sur deux de la missive : les lignes les plus crues du texte (celles qui commettent l’impair) sont comme « prises en sandwich » par les autres. Cette dimension physique du texte autant que le nom de son auteur m’ont conduit à baptiser du nom de « Sandwich » ce procédé légendaire.
Extraits
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