Daniel Mercier monta les escaliers de la gare Saint-Lazare à rebours de la foule. Des hommes et des femmes descendaient autour de lui, attachés-cases à la main et même valises pour certains. Ils avaient le front soucieux et la démarche rapide. Dans la cohue, ils auraient pu le bousculer, mais il n’en fut rien, bien au contraire il lui sembla que tous s’écartaient sur son chemin. Arrivé en haut des marches, il traversa la salle des pas perdus et s’approcha des quais. Là aussi, la foule était dense à la sortie des trains, un flot humain ininterrompu ; il se fraya un passage jusqu’au panneau des arrivées. Le train était annoncé au quai 23. Il remonta quelques dizaines de mètres et se plaça près des composteurs.
À 21 h 45, le train 78654 entra en gare dans un crissement et libéra les voyageurs. Daniel haussa le cou à la recherche de sa femme et de son fils. Il distingua d’abord Véronique, qui lui fit un signe avant de dessiner dans l’air un cercle approximatif autour de sa tête, concluant le geste par une moue étonnée. Jérôme, lui, s’était faufilé vers son père et se planta dans ses jambes, manquant de lui faire perdre l’équilibre. Véronique arriva, essoufflée, et dévisagea son mari. Qu’est-ce que c’est que ce chapeau ?
— C’est le chapeau de Mitterrand. — Je vois bien que c’est le chapeau de Mitterrand. — Non, objecta Daniel, je veux dire que c’est vraiment le chapeau de Mitterrand.
Lorsqu’il avait annoncé à la gare que c’était « vraiment le chapeau de Mitterrand », Véronique l’avait regardé en penchant la tête, avec ce petit froncement de sourcils qu’elle avait toujours lorsqu’elle se demandait si c’était du lard ou du cochon. Elle avait eu le même quand Daniel l’avait demandée en mariage, ou encore à leur première sortie ensemble, lorsqu’il lui avait proposé de visiter l’expo à Beaubourg. Bref, ce petit froncement pour lequel il était tombé amoureux, entre autres. Tu vas m’expliquer ça, avait-elle fait, incrédule. — Tu as le chapeau de Mitterrand, papa ? — Oui, avait répondu Daniel en se saisissant de leurs bagages. — Alors t’es président ? — Oui, je suis président, avait répliqué Daniel, que cette suggestion enfantine satisfaisait pleinement.
Durant le trajet en voiture, Daniel avait refusé de donner la moindre information. Je vous raconterai tout à la maison. Véronique eut beau insister, ce ne fut pas négociable. Arrivé au seizième étage de leur tour du XVe arrondissement, Daniel annonça qu’il avait fait à manger. Un plat de viande froide et poulet ainsi qu’une salade tomate basilic et un plateau de fromages, ce qui fit pousser un soupir d’admiration à Véronique – son mari ne préparait le dîner de son propre chef que quelques rares fois dans l’année. Avant toute chose, ils prendraient l’apéritif. Assieds-toi, avait dit Daniel, qui n’avait pas quitté son chapeau. Véronique s’était assise, tout comme Jérôme qui vint se blottir contre elle. À nous, avait-il dit en choquant solennellement son verre contre celui de sa femme, tandis que Jérôme les imitait avec son Banga.
Extraits
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