#Polar

Installation

Steinar Bragi

Eva Einarsdottir se sépare de son fiancé et rentre chez elle en Islande après avoir vécu à New York. Une vague relation lui prête un logement au centre de Reykjavik, dans une tour high-tech équipée des technologies dernier cri en matière de sécurité et de surveillance. Eva veut prendre le temps de s'installer dans ce pays qu'elle ne reconnaît plus, les pêcheurs ont disparu et cadres de banques et traders ont envahi la ville. Peu à peu Eva change, elle sort de moins en moins de cet appartement, fait des cauchemars, rencontre des gens étranges dans l'immeuble, se laisse envahir par une voisine. Une tension s'installe. La sensation de menace s'intensifie à mesure que l'oeuvre avance, et culmine dans une seconde partie au suspense insoutenable. Dans l'Islande juste avant la crise, au moment où une Reykjavik devenue usine financière à l'écart du monde atteignait un degré de folie vertigineux, Steinar Bragi écrit un thriller implacable sur la déshumanisation du monde, mais aussi sur une femme et la manière dont, dans un monde néolibéral où tout a un prix, on peut faire des femmes des produits de consommation.

Par Steinar Bragi
Chez Editions Métailié

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Genre

Policiers

LE DÉSERT

 

HRAFN

 

1. La flore islandaise

 

La nature était tout empreinte de sérénité. À l’horizon, les ombres s’obscurcissaient et se découpaient sur le ciel en se fondant dans la nuit.

Ils se taisaient tous les quatre. On n’entendait rien, sinon le sourd murmure de la radio. Sur le siège arrière, Vigdís était en train de lire un livre et Anna venait de se réveiller d’un petit somme et d’ouvrir une canette de bière. Entre elles était couché le chien d’Anna, un chien de berger islandais qu’elle avait acquis quelques mois auparavant.

– On fait un jeu, dit-elle en rompant le silence. Je pense à une chose qui est à l’intérieur de la voiture ou dehors, sur la route ou sur le sandur.

– Oui, j’avais oublié, l’interrompit d’une voix enfantine Egill que réjouissait la perspective d’une troisième bière et d’un dixième petit verre d’alcool.

– Intéressant, fit Hrafn en ignorant Egill. Il regarda Anna dans le rétroviseur, sa silhouette sombre et la morne lueur de ses yeux. Qu’est-ce que tu entends par une chose ? Si j’imagine la conscience de ton mari qui est ici ou bien le sang, c’est valable ?

– Oui, mais boiteux, rétorqua-t-elle, moqueuse.

Egill jeta un coup d’œil par la fenêtre et Hrafn songea qu’il devait regarder dans le rétroviseur latéral Vigdís, assise derrière lui.

– Non, pas du sang. Tout ce qui n’est pas visible autour de nous est interdit.

– De quoi est-ce que vous parlez ? interrogea Vigdís en refermant La Flore islandaise dans laquelle elle s’était plongée.

Anna lui expliqua le jeu et dit qu’elle allait commencer.

– Do it ! fit Egill, et le jeu débuta.

Hrafn ne quittait pas la route des yeux car il devenait de plus en plus difficile de prévoir ce que les ténèbres leur réservaient. Les soirées n’étaient plus aussi claires, il faisait nuit pendant plusieurs heures et l’hiver s’invitait dans ses pensées, s’élevait même tel un paquet de mer à l’horizon et dans la panique qui n’avait fait qu’augmenter ces derniers jours. Depuis midi, il désirait vivement rouler le plus vite possible pour retourner en ville.

– Le conducteur y voit ? s’inquiéta Vigdís tandis que la jeep continuait à circuler entre les piquets de neige qui scintillaient dans le noir. Hrafn appuya sur un bouton qui fit se baisser la vitre, passa la tête au-dehors et vit le ciel chargé de nuages étonnamment proches car, faut-il le préciser, on était sur leshautes terres.

– Tu crois que tu vas te repérer avec les nuages ? lança Anna derrière lui dans un grand éclat de rire.

– Il faut que vous m’aidiez, les gars, avoua Vigdís. Je suis à court d’idées.

– Un piquet, proposa Hrafn en remontant la vitre.

Anna fit une réponse négative. L’hiver polaire, pensa-t-il. Est-ce que c’était une chose ? En tout cas, les indices étaient bien visibles tout autour d’eux : les rochers fendus par le gel, aucune verdure, pas de couleurs, pas de flore. Uniquement du sable, du gravier tantôt noir, tantôt gris.

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trad. Henry Kiljan Albansson
03/03/2011 234 pages 20,50 €
Scannez le code barre 9782864247364
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