#Essais

Les amours paysannes (XVIe-XIXe siècle)

Jean-Louis Flandrin

Bergeries, pastourelles, violences rustiques des vilains... Des amours paysannes d'autrefois nous ne connaissions que l'image déformée qu'en ont laissée nobles et bourgeois. Peut-on aller plus loin ? Peut-on faire parler ce monde rural muet et sans mémoire ? Jean-Louis Flandrin présente ici un essai d'ethnographie historique. Le folklore a fixé gestes et clichés ; la loi de l'Eglise et de l'Etat a marqué des interdits ; les archives judiciaires évoquent les contraintes sociales et leur transgression ; les comptages des démographes restituent le temps long des comportements collectifs. Confrontés, recoupés, ces témoignages partiels restituent, des obsessions adolescentes aux liaisons tragiques, du mariage aux déviances, les codes amoureux d'une société traditionnelle.

Par Jean-Louis Flandrin
Chez Editions Gallimard

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Genre

Sciences historiques

À réfléchir en historien sur les amours d’autrefois, on n’innove pas : d’Homère à Michelet, l’amour a été l’un des grands ressorts de l’Histoire ; et l’étude des mœurs et des coutumes des peuples, de leurs institutions privées, de leurs attitudes et de leurs croyances, constitue depuis Hérodote l’un des principaux domaines de Clio. Ce qui est neuf, c’est notre manière d’aborder ce sujet.

Nous cherchons moins à décrire des coutumes étranges et pittoresques, des aventures hors du commun, qu’à comprendre les rapports qui ont dû exister entre les mœurs, les structures idéologiques, l’organisation sociale, la culture matérielle d’un groupe social ; et, finalement, à éclairer notre propre comportement, à connaître ce qui l’a façonné et dans quelle mesure il est appelé à se transformer.

Notre vocation n’est plus de présenter avec art des faits d’authenticité douteuse ; nous voulons saisir la réalité historique directement, sans nous fier à ce qu’ont pu en écrire les historiens d’autrefois, aussi prestigieux soient-ils, ni à l’image qu’ont voulu donner de leurs amours les contemporains. Le témoignage qu’un document prétend apporter sur une réalité qui lui serait extérieure ne nous satisfait plus : la réalité qu’il nous appartient aujourd’hui d’analyser, c’est le document lui-même. Une lettre d’amour ne saurait rien nous apprendre de certain sur les sentiments et les intentions de celui qui l’a écrite ; elle nous donne en revanche d’inestimables renseignements sur ce que, à une époque et dans un milieu social donnés, un amant pouvait écrire à sa maîtresse ; ou, pour le dire autrement, sur la façon de faire l’amour par correspondance. Un roman d’amour devient une source historique précieuse, non sur ce que faisaient réellement les amants à l’époque qui lui sert de cadre, ni à celle où il a été écrit, mais sur les histoires d’amour de ce temps, même si une partie de la rêverie érotique a été censurée. Et cette censure même nous en apprendra d’ailleurs plus sur les attitudes sociales que de longs discours. Enfin, dans tout document, le langage, le vocabulaire, les associations de mots ou d’idées, sont éminemment révélateurs des structures mentales du scripteur, parfois de ceux pour qui il écrivait.

Cette approche historique est-elle concevable pour l’étude des mentalités et des mœurs paysannes ? Autrefois le peuple des campagnes ne lisait guère, écrivait moins encore. Sa culture, essentiellement orale, était transmise par la parole et par l’exemple. La correspondance amoureuse et les romans d’amour ne le concernent pas ; quant aux documents écrits qui nous parlent de lui, ils n’émanent jamais de paysans. Nous ne pouvons connaître ces illettrés qu’à travers ce qu’en ont écrit des lettrés.

Allons-nous donc accepter sans critique les images littéraires des amours rustiques ? Celle que nous proposent Daphnis et Chloé, l’Astrée et autres « bergeries » ? Admettrons-nous au contraire l’image d’un paysan brutal, du rustre à peine humain, élaborée par toute notre culture courtoise et urbaine ? L’image du paysan sentencieux ou bon vivant peinte par Noël Du Fail dans ses Contes d’Eutrapel ? Celle du paysan païen, superstitieux et débauché laissée par les missionnaires de la Réforme catholique ? Celle du paysan vertueux que l’on trouve chez tant d’auteurs des XVIIIe et XIXe siècles ?

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01/04/1993 336 pages 11,60 €
Scannez le code barre 9782070327775
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