#Essais

Le Bûcher de Montségur. 16 mars 1244

Zoé Oldenbourg

En ce temps-là le Languedoc était pour l'Eglise un danger : ses chefs y toléraient la religion cathare. Pour la France du Nord et la monarchie capétienne, cette province riche, jalouse de son indépendance et de sa culture, mais désunie, était une proie convoitée. Quand le pape Innocent III, en 1209, prêcha la croisade contre l'hérésie cathare, commença une longue guerre de conquête : armées de croisés, puis armées royales déferlèrent sur le Languedoc. Les efforts conjugués de la royauté, de la Papauté et de l'Inquisition eurent raison de la résistance occitane. Le 16 mars 1244, Montségur, dernier sanctuaire du catharisme, tombait après un siège de dix mois. Dans une Occitanie annexée à la couronne, il n'y eut plus de tentative de révolte religieuse ni nationale.

Par Zoé Oldenbourg
Chez Editions Gallimard

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Genre

Religion

Pendant que Philippe Auguste, le plus grand des rois qui ont régné avant Henri IV, « faisait la France » dans les plaines flamandes1, un certain nombre de ses vassaux, placés sous l’égide de l’Eglise catholique, la « faisaient » à leur manière, dans la terre languedocienne.

L’histoire nous apprend que le vainqueur de Bouvines savait, au besoin, se montrer dur et impitoyable, mais on peut être certain (le précédent de l’annexion de la Normandie en témoigne2) qu’il s’y serait pris autrement s’il en avait fait son affaire, et la honte des massacres, des incendies et des tortures, dont demeure flétrie à jamais la mémoire des croisés de l’Albigeois, n’aurait pas souillé les annales de l’histoire de France.

Cependant, si l’on écarte toute espèce de considérations d’ordre sentimental et moral, si l’on se borne à regarder les choses en réaliste, il y a lieu de reconnaître que la mainmise de la royauté française sur le Languedoc est un événement d’une importance capitale pour la France et dont celle-ci a tiré d’inappréciables avantages, en ce sens qu’il inaugure la transformation radicale de sa structure externe et interne, modèle son nouveau visage, lui donne une nouvelle armature.

L’annexion de la Normandie avait ouvert à la France les débouchés maritimes du Nord, la soumission du Languedoc lui apportait la clé du bassin méditerranéen, ce qui, en plus des bénéfices commerciaux incalculables, laissait prévoir pour l’avenir une nouvelle orientation de la politique française, en direction de l’Italie. D’autre part, le royaume, encore fortement empreint d’essence germanique, devenait exposé à des contacts de plus en plus étroits avec l’esprit occitan, héritier de l’esprit latin, de même que la province languedocienne, par la force des choses, dut subir l’implantation d’une féodalité cléricale et militaire franco-bourguignonne qui allait se substituer à un régime social mitigé, fondé sur l’interdépendance des villes et des châteaux. Ainsi se trouvait engagé ce processus de brassage de races et de civilisations d’où sortira la future grandeur de la France.

Mais il ne saurait être question d’oublier le prix dont fut payé ce résultat : les longues, les terribles années (trente-cinq ans) pendant lesquelles une population paisible, mais fermement résolue de vivre et de mourir dans la foi qui lui était chère, voyait déferler sur son pays, brandissant la croix d’une main, l’épée de l’autre, des hordes d’égorgeurs, de pillards, d’incendiaires. Ce long et déchirant martyre, qui s’achèvera dans les flammes du monstrueux bûcher allumé au pied d’une montagne désormais sacrée, le présent ouvrage va l’évoquer dans toute son horreur, et je tiens à dire l’admiration que m’inspire l’effort surhumain fourni par son auteur qui, faisant preuve d’une objectivité infinie, enclin plutôt à excuser qu’à condamner les atrocités commises au nom du Christ, a mené sans défaillance, jusqu’au bout, sa tâche écrasante.

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01/02/1989 603 pages 14,20 €
Scannez le code barre 9782070325078
9782070325078
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