#Essais

Fous comme des sages. Scènes grecques et romaines

Jean-Philippe de Tonnac, Roger-Pol Droit

Ces gens ont de curieuses manières de vivre. Ils laissent venir des trous à leur manteau, enseignent dans une école vide, s'accouplent en public, tombent en extase. Leurs façons de mourir ne sont pas moins singulières : l'un se jette dans un volcan, l'autre s'enduit de bouse de vache, un troisième ne s'arrête plus de rire. Presque tous ont des problèmes avec l'argent. Ces expérimentateurs obstinés, on les appelait dans l'Antiquité chercheurs de sagesse, ou encore philosophes. La modernité a oublié combien ils furent étranges. Pour rencontrer ces sages perdus, deux écrivains ont choisi de fouiller dans une poussière d'histoires, de propos et d'anecdotes. Ils ont filtré et restauré. Résultat : une face inhabituelle et très surprenante de la philosophie occidentale.

Par Jean-Philippe de Tonnac, Roger-Pol Droit
Chez Seuil

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Editeur

Seuil

Genre

Philosophie

À Marie,
Aurélia et Raphaël.

Et à tous ceux qui croient la sagesse triste.

[…] dans l’Antiquité, un philosophe n’était pas un personnage qui écrivait des ouvrages de philosophie, c’était quelqu’un qui menait une vie de philosophe.

Pierre Hadot, La Citadelle intérieure,

Je ne cesse pas de faire voir ce qui me paraît être juste. À défaut de la parole, je le fais voir par mes actes.

Socrate,

La philosophie enseigne à faire, non à dire.

Sénèque, Lettres, 20, 2.

Il y a quelques années encore, on considérait les philosophes de l’Antiquité comme des théoriciens et seulement ainsi. On voyait en eux des auteurs de systèmes, des fabricants de concepts. Des hommes du discours, préoccupés uniquement de raisonner et d’argumenter. Des professeurs, des gens de bibliothèque. Rien d’autre. Finalement, on se représentait les philosophes de l’Antiquité sur le modèle des universitaires modernes : commentant les textes de leurs prédécesseurs, fondant des institutions, entretenant des polémiques. Ce n’est évidemment pas inexact, loin de là. Mais cette vue paraît aujourd’hui partielle, globalement mal orientée.

On redécouvre en effet que la philosophie constituait alors un mode de vie particulier. Elle impliquait certaines façons d’agir, imprégnait les gestes les plus quotidiens. Appartenir à telle ou telle école, s’efforcer de devenir stoïcien, épicurien ou cynique, n’était pas simple affaire de lectures ou de convictions intellectuelles. Tout le style de l’existence se trouvait concerné : manières de se nourrir, de se vêtir, comportement sexuel, attitude politique, relation aux autres et à soi-même.

Une large part de la philosophie ne résidait donc pas dans les livres. Elle consistait en un effort continu pour se modifier, à force d’exercices quotidiennement répétés. Elle fusait aussi, sans prévenir, d’une repartie soudaine, d’une situation de hasard, au coin d’une rue. Elle éclatait parfois dans des gestes brusques, des provocations, des actes de passage. Tout était bon aux philosophes pour se faire entendre : rire, posture, injure, manière de se taire, devinette, accouplement, suicide. Selon les cas.

Ces chercheurs de sagesse n’étaient pas des hommes de cabinet. Ils déambulaient et migraient. Ils parlaient aux carrefours. Il leur arrivait de dormir n’importe où, d’être vendus comme esclaves, ou encore de mendier. Ils partageaient, en mille occasions, le quotidien de leurs contemporains. Plus : beaucoup d’entre eux, loin de subir passivement le regard des autres, cherchaient à l’attirer. Leur manière de vivre parlait. Elle constituait la part immédiatement visible, et même l’œuvre essentielle, de leur philosophie. Ce qui frappait le passant, l’ignorant, l’homme de la rue, c’était d’abord la façon d’être du chercheur de sagesse. Son exemple, son étrangeté. Sa manière de trancher, émouvante ou loufoque, sur la grisaille convenue des habitudes humaines.

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12/10/2002 228 pages 19,30 €
Scannez le code barre 9782020524735
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