L'Oublié

Elie Wiesel

Un bourg des Carpates, la guerre, l'errance à travers l'Europe à feu et à sang, la découverte de la Palestine, l'amour de Talia dans Jérusalem où se poursuivent les combats alors qu'Israël est à peine né: Elhanan Rosenbaum conserve ces souvenirs vivaces en lui, quarante-cinq ans plus tard, à New York où il s'est installé avec Malkiel, son fils. Malkiel a grandi dans l'univers américain, proche de son père, mais tellement étranger à ce passé auquel ne le relie qu'une certitude: sa mère, Talia, est morte en le mettant au monde. Survient la maladie d'Elhanan. Maladie de la mémoire et de la parole: le passé se dissout, les souvenirs s'effacent. Bientôt, plus rien ne restera que le père puisse léguer à son fils. A quel enracinement Malkiel pourra-t-il donc prétendre quand son amie Tamar conteste ses convictions les plus profondes? En désespoir de cause, Elhanan raconte ce passé tumultueux, nourissant ainsi la mémoire de son fils à mesure que la sienne se défait. Puis, tandis que le vieil homme s'enfonce dans sa nuit, Malkiel découvre la terre de ses ancêtres. Lieu d'une deuxième naissance, où se révèleront son identité profonde et sa vérité à travers celles d'Elhanan. Est-ce là que la mémoire triomphera de l'indifférence et de l'oubli?

Par Elie Wiesel
Chez Seuil

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Editeur

Seuil

Genre

Littérature française

Respectez le vieillard qui a oublié son savoir. Car les tables brisées ont leur place, dans l’Arche, aux côtés des Tables de la Loi.

Le Talmud

Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, n’oublie pas leur fils qui se réclame d’eux.

Tu sais bien, Toi, source de toute mémoire, qu’oublier c’est abandonner, oublier c’est répudier ; ne m’abandonne pas, Dieu de mes pères, puisque je ne T’ai jamais répudié.

Dieu d’Israël, ne repousse pas un fils d’Israël qui, de tout son cœur, de toute son âme, se veut rattaché à l’histoire d’Israël.

Dieu et Roi de l’univers, ne m’exile pas de cet univers.

Enfant, j’ai appris à Te vénérer, à T’aimer, à T’obéir ; aide-moi à ne pas oublier l’enfant que je fus.

Adolescent, j’ai répété les litanies des martyrs de Mainz et de York ; ne les efface pas de ma mémoire, Toi, qui n’effaces rien de la Tienne.

Adulte, j’ai appris à respecter la volonté de nos morts ; empêche que j’oublie ce que j’ai appris.

Dieu de mes ancêtres, fais que le lien qui m’attache à eux demeure solide et entier.

Toi qui as choisi de résider à Jérusalem, fais que je n’oublie pas Jérusalem. Toi qui accompagnes Ton peuple dans sa dispersion, fais que je m’en souvienne.

Dieu d’Auschwitz, comprends que je dois me souvenir d’Auschwitz. Et que je dois Te le rappeler. Dieu de Treblinka, fais que l’évocation de ce nom continue à me faire trembler. Dieu de Belzec, laisse-moi pleurer sur les victimes de Belzec.

Toi qui partages notre souffrance, Toi qui participes à notre attente, ne m’éloigne pas de ceux qui T’ont invité dans leur cœur et dans leur demeure.

Toi qui prévois l’avenir des hommes, aide-moi à ne pas me détacher de mon passé.

Dieu de justice, sois juste envers moi. Dieu de charité, sois bon avec moi. Dieu de miséricorde, ne me précipite pas dans le kaf-hakéla, cet abîme où toute vie, toute espérance et toute lumière sont recouvertes d’oubli. Dieu de vérité, rappelle-Toi que sans la mémoire la vérité devient mensonge car elle ne prend que le masque de la vérité. Rappelle-Toi que c’est par la mémoire que l’homme est capable de revenir aux sources de sa nostalgie pour Ta présence.

Rappelle-Toi, Dieu de l’histoire, que Tu as créé l’homme pour qu’il se souvienne. Tu m’as mis au monde, Tu m’as épargné au temps des périls et de la mort pour que je témoigne ; or, quel témoin serai-je sans ma mémoire ?

Sache, Dieu, que je ne veux pas T’oublier. Je ne veux rien oublier. Ni les morts ni les vivants. Ni les voix ni les silences. Je ne veux pas oublier les moments de plénitude qui ont enrichi mon existence, ni les heures de détresse qui m’ont désespéré.

Même si Tu m’oublies, Dieu, moi je refuse de T’oublier.

Je m’appelle Malkiel. Malkiel Rosenbaum, pour être plus précis. Je sens que je dois le noter. Par superstition ? Pour conjurer le sort ? Je souhaite peut-être me prouver à moi-même que je n’ai pas encore oublié mon nom. Cela risque-t-il de m’arriver à moi aussi ? Pourquoi pas ? Un matin, je saisirai ma plume et elle ne m’obéira pas ; elle refusera d’exécuter mes ordres pour la simple raison que je ne serai plus en mesure de les lui dicter. Malkiel Rosenbaum existera encore, mais son identité ne lui appartiendra plus.

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01/12/1989 320 pages 19,60 €
Scannez le code barre 9782020106672
9782020106672
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