Pour Alissa
« Je suis perpétuellement tiraillé entre deux pensées : d’un côté, que la vie devrait être meilleure ; de l’autre, qu’elle est vraiment pire quand elle semble meilleure. »
Je te croyais morte. En tout cas, je ne m’attendais pas à avoir de tes nouvelles. D’ailleurs, peut-être n’en ai-je pas eu : je reconnais ton écriture, mais la contrefaçon est sans doute un jeu d’enfants pour tes nouveaux amis. Cependant, je t’accorderai le bénéfice du doute ; croire aveuglément me semble une façon pertinente de te rendre hommage.
Ci-joint ce que tu m’as demandé : « Un compte rendu objectif et détaillé du temps que nous avons passé ensemble. » Tu as précisé que ce n’était pas seulement pour toi ; même dans le cas contraire, je ne crois pas que je l’aurais écrit différemment : de toute façon, tu ne pouvais être « toi » ici, quel que soit mon désir. Et je me suis trouvé incapable, tout en voulant ignorer ta requête, de garder le silence. Et puis, je n’avais pas grand-chose d’autre à faire. J’ai déjà passé plus de temps enfermé ici qu’avec toi, et même si je suis toujours secoué (je crois que j’en ai encore pour un petit moment avant de me remettre), les traits de ton visage commencent déjà à s’effacer de ma mémoire, et j’en suis soulagé.
Je m’inquiète quand même pour toi. Je te souhaite une vie plus longue et plus heureuse que celle qui, hélas, te semble promise.
Paul
certain et très véritable.
Pour tout journaliste d’un hebdomadaire, surtout aussi petit que le Carrier, le Jour de Sortie du numéro est le jour sacro-saint de détente. Nonchalant, je débarquais à la rédaction vers onze heures. Je m’occupais de ma correspondance, lisais les articles dont je n’avais pas pris connaissance, passais quelques coups de fil longue distance personnels, faisais semblant de réfléchir aux articles de la semaine suivante, puis partais à dix-sept heures tapantes. Si j’étais d’humeur scrupuleuse, je mettais en forme mes notes et rangeais mon bureau. D’habitude, je m’occupais de cette tâche insignifiante à l’approche d’une date butoir – histoire de me changer les idées. Il est vrai que nos délais importaient relativement peu : à Lincoln, dans le Connecticut, comme dans toute petite ville, l’information a la vie longue. Personne ne perdrait son travail si l’article de fond sur la polémique autour de la mascotte du lycée – le Sioux combatif : culturellement insensible ou respectueusement traditionnelle ? – passait à la trappe. D’abord, le débat serait reconduit l’année suivante, probablement à la rentrée, au moment où les élèves ambitieux de terminale souhaiteraient attirer sur leur activisme l’attention des universités. Ensuite, nous possédions en quantité infinie publicités, annonces, notices et bouche-trous qui, recyclés, combleraient facilement les lacunes du jeune journaliste que j’étais.
Extraits
Commenter ce livre