À mon père, André,
alias « Guy » dans les maquis
de Dordogne et de Corrèze
De la peur de tous naît, sous la tyrannie, la lâcheté du plus grand nombre.
Vittorio Alfieri
On écrit sa vie comme un palimpseste. Le présent recouvre le passé mais n’en efface pas le souvenir.
Tous les personnages de ce roman ont été inventés. La moindre ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé serait fortuite. En revanche, le lecteur pourra reconnaître de nombreux lieux décrits dans ce livre, notamment à Brive où je suis né.
Quant au massacre du Puy-du-Chien, il s’inspire d’un drame qui a bien eu lieu. Néanmoins, l’enchaînement des faits et l’implication de chacun tels que je les raconte ne doivent rien à la réalité ; ils servent uniquement la construction de mon histoire.
Cette période est trop complexe pour placer, dans une fiction, les uns en pleine lumière, les autres dans l’ombre totale. La guerre a donné son lot de martyrs et la Corrèze fut l’un des nombreux foyers de la Résistance en France.
PARIS, 2013. JEUDI 8 AOÛT. Qu’aurais-je fait pendant la guerre ? Résistant ? Collabo ? Le dos rond, comme la plupart, en attendant des jours meilleurs ?
Cette question me hante désormais.
Parce que, en ce bel été que je devine à travers les stores de ma chambre d’hôpital, je sens bien que la fin approche.
Parce que je cherche à tirer un bilan, à tracer la ligne de ce que fut mon existence, à y déposer le dernier signet. Mais avec quelle ponctuation ? Un point d’exclamation (quelle prétention) ? Trois points de suspension (mais je ne suis pas croyant) ? Un simple point final, comme la plupart ? Ou alors un point d’interrogation ?
Oui, en vérité, au bout de soixante-neuf ans, j’en suis toujours à l’heure des interrogations. Malgré l’enquête menée, ces dernières semaines, avec Matt et Maika.
Quand il me faudra partir, que pourrai-je présenter sinon à un Dieu tout-puissant, du moins à ma conscience ? En affaires je me suis débrouillé pour devenir très riche sans aucun effort, j’ai perdu en amour, ou plutôt je n’ai jamais gagné, je n’ai vécu aucune jeunesse en liberté ni véritables années d’enthousiasme, j’ai assouvi mes faiblesses en me dissolvant dans l’alcool, et tout au long de ma vie j’ai accepté mes lâchetés intimes.
Tout le monde ne peut pas être un héros.
Comme mon père.
Si la question de la Résistance me hante à présent, c’est que je veux boucler la boucle. Car je viens de là. Je suis l’enfant de cette barbarie sans nom que les nazis ont étalée sur l’Europe. C’est gravé sur ma carte d’identité.
Né le 15 août 1944, à Brive (19).
Ce jour-là, un mardi ensoleillé, non seulement ma mère donna, en début de soirée et en souffrant comme une bête, naissance au bébé qu’elle portait, mais au même moment, à 21 heures, une convention – paraphée par le lieutenant-colonel Heinrich Böhmer, commandant le 95e régiment de sécurité de l’armée allemande (les garnisons de Tulle et Brive), par les maquisards de l’Armée secrète, et par un faux officier du réseau de renseignement britannique Buckmaster (surnommé « Captain Jack », il s’appelait en réalité Jacques Poirier) dont la présence rassurait les boches quant au traitement qu’ils allaient subir – libérait, sous l’égide du sous-préfet Pierre Chaussade, la ville du joug des occupants.
Extraits
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