#Essais

Les messagers de l'Alliance Tome 1 : Au pied du mont Horeb

Jean-Michel Touche

Dans ce premier tome, Nicolas, jeune collégien, est plongé au coeur de l'histoire de la Bible. Il se retrouve au côté de Noé avant le Déluge puis, il rencontre Joseph, celui qui lit dans les rêves. Enfin, il finira par libérer le peuple hébreu au côté de Moïse. A partir de 9 ans

Par Jean-Michel Touche
Chez Edifa-Mame

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Editeur

Edifa-Mame

Genre

Religion jeunesse

Que sais-tu du temps, Nicolas ?
Marc, c’est mon père.
C’est fou ce qu’il peut se prendre au sérieux, ces temps-ci. Son métier, c’est inventeur. À la maison, il n’arrête pas d’inventer. N’importe quoi, pourvu que ce soit pratique.
Il pourrait inventer des trucs à faire les devoirs ou à retenir les leçons, par exemple. Voilà quelque chose qui serait vraiment bien. Mais non. C’est toujours dans le genre utilitaire qu’il se creuse la cervelle. Il dit que si ça plaît à Maman, après, tout le monde se l’arrache.
Une fois il a mis au point, tenez-vous bien, un fer électrique qui avance tout seul. Fin à l’avant, trapu à l’arrière, la Formule 1 du fer à repasser. Le mieux, vous ne devinerez jamais : il est autonome. Papa nous a expliqué en long, en large et en travers que l’ennui, avec les fers électriques, c’est le fil. D’après lui, et Maman était bien de son avis, le fil n’arrête pas de s’entortiller. On ne le dirait pas, c’est malicieux en diable, un fil électrique. Forcément, à force de se tourner et se retourner dans tous les sens, il finit par faire des nœuds. Avec celui-ci, pas de problème. Comme insiste Papa, il est au-to-nome. Il l’est tellement que, parfois, il fiche le camp et l’on ne sait plus où il se trouve. Maman a d’ailleurs demandé à Papa d’installer une sonnerie afin de pouvoir le dénicher quand il se cache sous un meuble. C’est vous dire…
Il était tellement heureux d’exister, le fer électrique, que lors de la démonstration familiale il a continué d’avancer tout seul, même lorsque Maman a voulu l’arrêter. Ça lui plaisait de repasser. D’ailleurs, il était fait pour ça. Mais conçu par Papa, je ne vous dis pas la bête ! Il pourrait faire toutes les chemises du quartier, il en redemanderait. Un champion toutes catégories. Moi, quand je le vois dans la chambre des parents, sur la planche à repasser, ramassé sur lui-même, prêt à bondir sur tout ce qui est froissé, je fais semblant de ne rien remarquer et je file en douce dans ma chambre pour planquer mes T-shirts. Si par hasard il les apercevait, sûr, il ferait un carnage.
Au début, Maman a applaudi. Caroline aussi, d’ailleurs. Caroline, c’est ma sœur. Maman et Caroline, des fois, ce n’est pas croyable ce qu’elles peuvent nous enquiquiner, nous les hommes. Pas vrai, Papa ?
Donc Marc, c’est mon père.
Claire, c’est ma mère. Il faut que je vous présente la famille, puisque nous allons passer un moment ensemble.
Ah, Maman ! Il a de la chance, Marc. Nous aussi, d’ailleurs. C’est la meilleure des mères. Parfois, en cours, quand Pépère, le prof de maths (si, si, c’est son nom), se lance dans ses divagations que personne n’écoute, on fait des comparaisons entre les copains. Eh bien, quand je fais le bilan, elle dépasse toutes les autres, ma mère. Au bureau, je n’ai pas très bien compris ce qu’elle fait. Mais à la maison, franchement, elle est canon. D’abord, elle rit toujours, ensuite elle guérit tout. Bon, je ne vais pas vous faire un catalogue, mais juste un mot sur les gâteaux. À Noël elle vous sort un pudding… c’est incroyable ! J’en mangerais tous les jours.
Par contre elle a un défaut, ma mère. Et ça, ça met un drôle de bémol à mon enthousiasme. Elle s’est mis dans la tête de me faire travailler. Elle dit que j’ai des capacités ! Qu’est-ce qu’elle en sait, d’abord, de mes capacités ? Je ne suis pas la copie conforme de l’inventeur, moi. Je suis son fils. Ni plus, ni moins.
Mais elle s’en fiche. Dès que je rentre, elle me tombe dessus. Et « qu’est-ce que tu as à faire ? » par-ci, et « qu’est-ce que tu as comme leçons ? » par-là…
C’est d’un lourdingue ! Si les copains téléphonent, elle se précipite : « Non, non ! Nicolas a du travail. Il te rappellera quand il aura terminé. » C’est odieux, d’autant que Caroline en rajoute : « Mais oui il a du travail, le grand chéri, pas vrai Nicolas ? »
Tiens, ça la reprend. Vous avez entendu ? Non ? Écoutez bien, là, vous avez entendu maintenant ?
– Nicolas, tu as fini tes…
– Oui Maman !
– Tu es sûr ?
– Mais enfin, Maman, puisque je te le dis !
(Entre nous, cette pression qu’elle met sur moi, ma mère, ça me gâche un peu la vie. Enfin ! Il faut faire avec. Papa assure que je lui en serai reconnaissant plus tard. C’est à voir !)
Mon plaisir, moi, c’est l’école. D’accord, il faut travailler. De toute façon, avec Claire, pas moyen d’y échapper. Alors je le fais, et ensuite je peux profiter des copains.
Frédéric, surtout. Mon presque frère. Nous sommes nés le même jour, dites donc. Ce n’est pas formidable, ça ? Et justement, avec Frédéric, il nous est arrivé une drôle d’histoire.
C’était juste après un cours de maths. Pépère, notre prof, est petit et tout rond, comme les cercles qu’il dessine au tableau, d’un seul coup, sans s’arrêter. C’est le recordman absolu du rond, Pépère. Il paraît qu’autrefois il a défié tous les autres profs de maths dans un grand concours de ronds. Eh bien, il a tout gagné. C’est un peu pour ça qu’entre nous on l’a surnommé « Ronron ». Parce que « Pépère », contrairement à ce que l’on pourrait croire, c’est son vrai nom. Sur le cahier de correspondance, il signe « François Pépère ». Nous, ça nous fait plutôt rire. Des anciens nous ont raconté qu’autrefois il avait voulu faire changer son nom en « Papère ». Comme c’était compliqué, il a dû renoncer. En plus, de vous à moi, ça n’était pas forcément mieux ! On l’aurait certainement surnommé « Impair ».
Un jour, je l’ai rencontré dans la rue avec sa femme. Je ne sais pas ce qui m’a pris, je l’ai regardée, elle, je lui ai dit bien fort : « Bonjour Madame Mémère ! » et j’ai éclaté de rire. C’était trop pour moi, ce « Madame Mémère », je n’ai pas pu me retenir.
Le soir, j’ai découvert à mes dépens que j’avais fait une erreur. Les deux cents lignes auxquelles me condamna mon père devaient me faire regretter cet incident. Rendez-vous compte : deux cents fois « Je ne dirai plus jamais Madame Mémère à Madame Pépère ». Au début, devant l’air furieux de Marc, j’ai écrit le plus consciencieusement possible, la tête baissée, les yeux rivés sur la pointe de mon crayon. Puis, à la trente ou quarantième ligne, le fou rire m’a pris. Ce « Madame-Mémère-Madame-Pépère », je ne pouvais plus l’écrire tant je riais. C’est incroyable ce que ça peut faire mal, de rire comme ça sans pouvoir s’arrêter. J’en pleurais. Même Marc, ça l’a pris. C’est ça qui m’a sauvé, sans doute. Autrement, c’est sûr, j’y serais encore !
Par la suite, lorsque j’apercevais Pépère dans la cour, à l’école, je ronronnais. C’était ma façon à moi de me venger.
Frédéric, qui m’aime bien, a fait la même chose. Tous les copains aussi. Jusqu’au jour où il s’est passé un truc qui m’a fait mal. Comme tout le monde ronronnait en classe, Pépère a compris qu’on se moquait de lui. Quand la cloche a sonné, on s’est tous précipité dans la cour et on a ronronné de plus belle en passant devant lui. À un moment, pendant la récréation, je suis revenu dans la salle pour récupérer je ne sais plus quoi. J’ai ouvert la porte d’un seul coup. Dans la classe, il y avait encore Pépère. Tout seul. Il tenait un mouchoir qu’il a porté d’un geste brusque devant son visage, à mon arrivée, pour faire croire qu’il allait se moucher, mais pas assez vite pour m’empêcher de voir ses yeux. Ils étaient pleins de larmes.
Brusquement je me suis trouvé vraiment mal à l’aise. Il aurait fallu dire quelque chose, un mot aimable, mais je ne savais pas quoi. Je suis sorti en courant.
Dans la cour, les copains se sont affolés. Il paraît que j’étais tout blanc. Je leur ai raconté ce qui s’était passé. Il y en a un qui a ri, les autres ont eu l’air gênés.
Le lendemain, en cours, on a tous suivi ce qu’il disait, Pépère. Sans chahut. Sans raclement de pieds. Sans ronron. Rien. Il n’y avait pas un mot dans la classe. À la fin du cours, après la sonnerie, il a rangé ses affaires dans sa serviette, sans se presser. Et puis il s’est tourné vers nous et a simplement dit : « Merci ». Rien d’autre.
Bon. Quand même, on n’est pas foncièrement mauvais, à notre âge. Il ne faut pas croire. On s’amuse de tout, rien de plus. Parfois les profs ne voient pas ce qui nous fait rire. On n’est pas fait pareil, ça doit être ça. C’est ce qu’on se dit, avec Frédéric. Finalement on n’est pas fait comme les parents, on n’est pas fait comme les profs, on n’est pas fait comme les filles… on est vraiment spécial !
Un jour, j’ai lu dans un journal que la jeunesse était l’avenir de la France. Si c’est vrai, je ne vois pas pourquoi on nous oblige à faire des trucs qui n’intéressent que les vieux. C’est vrai, si c’est nous, il n’y a qu’à nous laisser faire. Les vieux ne sont jamais contents. Déjà, rien qu’entre mon père et ma mère (et ce ne sont pas des vieux très âgés), dès qu’ils parlent politique, ils se chamaillent. Je n’ai jamais compris si mon père était de gauche ou de droite. Enfin il y en a un qui est d’un côté, l’autre de l’autre.
Un jour, les parents se sont disputés devant nous. Grave !
– Je me demande pourquoi on s’est marié, nous ne sommes jamais d’accord, a déclaré Marc avec un grand geste du bras.
On se serait cru au cinéma, genre mauvais film. Vous auriez vu ma mère, elle qui a l’air si douce…
– Holà ! et nous alors, Caroline et moi, on compte pour du beurre ?
C’est moi qui ai posé la question. Incroyable : ça les a calmés tous les deux.
C’est vrai, on serait quoi s’ils ne s’étaient pas mariés, Claire et Marc, je vous demande un peu ! Heureusement que ça n’arrive pas souvent, ça ficherait le bourdon à force.
Donc j’entre dans le salon avec mon article, enfin celui du journal de Marc, tout fier.
– L’avenir, c’est moi, je leur ai dit, en montrant le journal.
Vous auriez vu leur tête ! Sur le coup j’ai eu peur. Mon père m’a arraché le journal des mains pour lire. Et puis il m’a dit, avec ce petit air suffisant qu’il prend quand il veut me donner une leçon :
– Il ne faut jamais croire le journal.
– Tu vois, s’est exclamée ma mère d’un air triomphant, même toi, tu ne crois pas à ce qu’elle raconte, ta feuille de chou partisane…
Sur le champ j’ai effectué un repli stratégique, tout en souplesse, et je suis parti protéger mes arrières, le temps qu’ils se calment. Parce que lorsque ma mère utilise ce mot, « partisane », dont je ne sais toujours pas la signification, en général les choses se gâtent pour de bon. À ces moments-là, pour le salut de notre matricule, on a intérêt à leur abandonner les lieux.
Voilà, je discute, je discute, et j’oublie l’essentiel. Parce que ce n’est pas du quotidien que je veux vous parler. Figurez-vous que j’ai quelque chose de fantastique à vous raconter. Quelque chose d’incroyable. Du jamais vu. Eh bien, avec moi, c’est arrivé. J’ai été projeté dans la Bible.Parfaitement!
Mais commençons par le commencement. Il n’y a pas très longtemps, juste un peu avant les vacances de février, tout le monde avait la grippe à l’école. Dans la classe il ne restait que Frédéric et moi, et une poignée de copains. Le prof d’anglais aussi, une femme, Mrs. Mac Arthur. Vous pouvez prononcer ça, vous, « Arsœur » ? Moi j’ai du mal. Enfin pour le moment c’était plutôt sympathique parce qu’on nous a dit : « Restez chez vous, revoyez vos cours, il y aura interrogation au retour des vacances. »
Cool, cool, comme dit Frédéric. Le plaisir, en revenant chez moi, je ne vous dis pas ! Il n’y avait personne dans l’appartement. Souvent Caroline termine ses cours avant moi. C’est l’aînée, Caro. Quand elle rentre, elle fait une vraie razzia dans le frigo. Ça mange, les filles, je ne vous dis pas ! Plus tard, quand elles ont pris de l’âge, les copains affirment qu’elles ne mangent plus du tout. Je me demande pourquoi !
Alors, ce jour-là, j’entre dans l’appartement, pas un bruit. Le salon, vide. La chambre des parents, vide. Vide également la cuisine. J’appelle les parents, Caro, rien. Pas une réponse. Machinalement, je m’approche du piano pour jouer un petit air, comme ça, histoire de meubler le silence. Parce que le vrai silence, ça fiche les jetons. Et là, comme un fait exprès, je vois la porte du bureau de Papa grande ouverte. D’habitude, le bureau de Marc, c’est du genre : « Tirez-vous les gosses ! » Ou alors : « Hors d’ici, vous allez vous blesser. » Ou encore : « Vous allez casser quelque chose, foutez le camp ! » Oui, il dit ça mon père, quand il se bagarre avec une invention qui ne fonctionne pas.
Donc, prudent, j’ai encore appelé, histoire de voir si Marc n’était pas caché quelque part, en train de faire la découverte du siècle. Mais non, personne. À moins qu’il n’ait disparu. Avec les inventeurs, on ne sait jamais.
À pas de loup je me suis approché, j’ai tourné la tête à droite et à gauche. Vraiment pas un chat. Qu’est-ce que vous auriez fait, vous ? Moi, je suis entré.
Un champ de bataille, le bureau ! De tout, partout. Ça tient plus de l’atelier que du bureau, d’ailleurs. Des fils entortillés, deux ordinateurs, des petits moteurs, des plans bizarres. Le tout, passionnant. J’avais l’impression d’entrer dans le cerveau de Papa. Un vrai régal.
Le mur de droite était recouvert d’un immense tableau blanc sur lequel Papa écrivait ce qui lui venait à l’esprit. Certaines notes devaient dater car la couleur du marqueur avait fané. Ailleurs, Marc avait rayé un mot sans l’effacer. Comme pour dire : « Ça ne vaut rien aujourd’hui, mais on ne sait jamais. » Il y avait des mots partout. Des mots ? Un mot surtout. « Temps. »
Pourquoi mon père avait-il écrit ça sur tout son tableau ? Sûrement une nouvelle invention. Peut-être… Non ! Oh, ça, c’est pas vrai ! Ouais ! Il a inventé la machine à remonter le temps ! C’était plus fort que moi, j’ai hurlé. De joie !
Mais tout de suite après, j’ai hurlé. De peur, cette fois ! Aujourd’hui encore, en dépit des aventures inimaginables que j’ai vécues, je me demande ce qui a bien pu se produire.
À peine avais-je crié mon enthousiasme, que la lumière s’est éteinte. Plus un bruit. Plus rien. Je n’avais jamais écouté un silence pareil. Vous allez rire : ça me faisait mal aux oreilles. Et puis petit à petit, venu de nulle part, un souffle d’air glacial a envahi la pièce. Cela ressemblait à des vagues de vent. Ffffhouuu… Ffffhouuu… À chaque souffle il faisait un peu plus froid. Au début, c’était supportable. Mais au bout d’un moment, je me suis mis à trembler. Vrai, j’ai claqué des dents. J’avais beau me tourner dans tous les sens, il me semblait que ce souffle se trouvait toujours derrière moi. Je me suis dit que j’avais dû toucher quelque chose, un objet, un outil, je ne sais pas quoi, et que j’avais déclenché une réaction inattendue qui allait me valoir une sacrée correction, comme après l’affaire de Madame Mémère.
Mais à la réflexion, non, je n’avais touché à rien. J’avais simplement pensé au temps, et puis voilà…
À présent le froid remontait le long de mes jambes. Il gagna rapidement tout mon corps. Lorsque cette horrible sensation atteignit mon visage, ce fut épouvantable. Je suis incapable d’expliquer ce que j’ai ressenti. J’ai dû crier à nouveau. Il m’a semblé qu’un grand trou s’ouvrait sous mes pieds, une voix énorme a retenti en moi, comme si elle venait de ma poitrine : « Le temps ! Mais que sais-tu du temps, Nicolas ? »
J’ai perdu l’équilibre, et puis… je ne sais plus.

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18/04/2008 157 pages 14,90 €
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