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Je m’appelais Cléa, de cela je n’avais jamais douté. Pour le reste, à mon arrivée au manoir, mes souvenirs se résumaient à presque rien. Il n’y avait en moi qu’une grande frayeur. À force de patience, Liam m’avait tirée de ce trou noir, et une partie de la mémoire m’était revenue. Mais pas l’essentiel. Et l’essentiel était : Qui ?
J’étais sûre que la réponse était tapie quelque part au fond de moi. Liam disait que je refusais de me rappeler. Pourtant, comprendre ce qui s’était passé serait la seule façon de faire exploser la boule d’angoisse qui m’étouffait. Il fallait que je sache qui m’avait assassinée. Qui et pourquoi.
Je voulais que le voile de ténèbres se déchire et, en même temps, je le redoutais. Parce qu’un ravisseur qui demande une rançon et tue malgré tout son otage était une réalité insupportable. Insupportable !
Heureusement, je savais maintenant que mourir n’était que le début d’une autre vie, aussi complex-e et intéressante, du moins si on atterrissait au manoir.
Il me semblait étrange de parler ainsi car, à mon arrivée, je n’avais qu’une envie : repartir. C’est tout juste si je n’avais pas mordu Liam quand il m’avait incitée à quitter un peu ma chambre, à me mêler aux autres. Je ne voulais rien avoir à faire avec eux, je ne voulais voir personne !
Finalement, Liam m’avait apprivoisée. Comme le petit prince avec le renard. Je ne pouvais pas m’empê-cher de voir Liam en prince.
Cela, je ne le lui avais pas dit. J’en étais incapable. Depuis ce qui m’était arrivé, tout en moi était noué. Je ne connaissais que les sentiments qui viennent à fleur de peau : la peur, la colère, le désespoir.
Une nouvelle fois, je tentai de rassembler mes souvenirs. Un homme en tenue de motard m’avait enlevée à mon retour du collège. Je ne me rappelais même pas quel collège.
Je me figeai soudain. Depuis l’endroit où l’on m’avait enlevée, je voyais la mer...
Mon cœur se mit à battre violemment. Chaque fois qu’un détail ressurgissait, il me paniquait. J’avais peur de ce que sa lueur pourrait éclairer. C’était une rue déserte, longée par des murs, des grillages, des haies. Bleuenn n’était pas avec moi. L’homme avait jailli de l’ombre d’une voiture, m’avait ceinturée et jetée dans le coffre.
Une voiture, alors qu’il portait une tenue de motard !
On avait roulé longtemps. Quand enfin il avait ouvert le coffre, il m’avait bandé les yeux, puis il m’avait fait sortir. On avait pénétré dans un lieu fermé et descendu un escalier. Ça sentait le moisi. Ensuite, rideau. Dans ma mémoire, plus rien. Juste le haut d’une cheminée d’usine que j’apercevais à travers les barreaux du soupirail.
Aucun autre souvenir ne me revint. J’en fus presque soulagée – ce qui était idiot, car je devais trouver la vérité quelle qu’elle soit. J’y étais prête. Je voulais tant réparer ma vie, réparer ma mort. Parce qu’on ne meurt pas sans raison à quatorze ans !
Extraits
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