Adieu jeunesse adieu aussi
A cell' qui partageait ma vie
(Adieu chansons.)
Quelques personnes qui veulent bien s'intéresser à mes écrits m'ont exprimé le souhait de voir réunis en volume les articles que j'ai publiés avant la Seconde Guerre mondiale dans des revues dont les collections sont devenues rarissimes comme La Critique sociale et Volontéspour ne pas parler de Voyage en Grèce et de La Bête noire. Ce souhait me touche profondément certes, et m'encourage, mais ce n'est pas sans quelques hésitations que j'y ai souscrit. Ces textes (comme l'on dit maintenant) remontent à un passé qui, à l'échelle humaine, commence à être pas mal lointain, ce qui peut poser la question de l'intérêt qu'ils sont susceptibles de présenter à l'heure actuelle, et, d'autre part, le passé de ces textes étant également lointain pour moi-même, il n'y aurait rien d'étonnant à ce que les opinions qu'ils expriment et les thèses qu'ils soutiennent (car ils en soutiennent des thèses) ne soient plus maintenant partagées ou approuvées par leur auteur.
Passant par-dessus la précaution oratoire figurée par l'amateur fervent aux premières lignes de cette préface et qui, d'ailleurs même si cela peut surprendre, existe à plusieurs exemplaires et n'est pas seulement la reprise d'une précaution oratoire classique des auteurs classiques, le lecteur autre (à supposer que la question l'intéresse et qu'il soit informé) se demandera peut-être pourquoi réunir maintenant des écrits négligés jusqu'alors puisque certains sont contemporains de ceux réunis dans Bâtons, chiffres et lettres, ouvrage paru en 1951. Après tout, 1951, c'est déjà pas mal dans le passé et nul doute que maintenant je ne constituerais plus ce recueil de la même façon. Le même lecteur peut aussi se demander pourquoi déterrer des manifestations d'humeur qui furent bien accidentelles, encore plus qu'occasionnelles, et des jugements qui semblent contredire mes activités actuelles ou récentes ; je m'en expliquerai plus loin.
Comme je n'aime pas beaucoup les livres dépourvus de toute construction, je me serais abstenu de proposer à mon éditeur un farrago sans consistance si je ne m'étais aperçu que le simple ordre chronologique fournissait la structure demandée. On trouvera en effet, dans la première partie, des comptes rendus qui figurent dans La Critique sociale des années 1930-1934, La Critique sociale étant, je le rappelle car on peut l'avoir oublié, l'organe du Cercle communiste démocratique dirigé par Boris Souvarine et auquel avaient adhéré un certain nombre d'écrivains au sortir d'un mouvement littéraire qui commençait à faire un peu de bruit et, chose curieuse, qui s'en étaient éloignés ou en avaient été exclus pour a-politisme. Lesdits écrivains se trouvaient d'ailleurs là (dans ce cercle) un peu comme des chiens dans un jeu de quilles. L'un d'entre eux d'ailleurs finira par les éparpiller, les quilles, et le Cercle communistedémocratique clora ses portes. Quant aux comptes rendus que l'on trouvera ici (dont quelques-uns n'étaient pas signés), ils portent presque tous sur des livres distribués au hasard entre les collaborateurs : ce sont des pensums écrits souvent avec une insolence encore toute juvénile et bien légère, pour ne pas dire irréfléchie. Seuls quelques-uns portent sur des auteurs choisis par moi-même : Pavlov, Vernadsky, Lefebvre des Noëttes. Le compte rendu sur Vernadsky contient en germe la théorie circulaire de la classification des sciences que j'ai exposée dansLes Grands Courants de la Pensée mathématique et qui est recueillie dans Bords. Un an avant que cesse ma collaboration à La Critique sociale, j'avais découvert la Grèce et la réponse que je donnai à l'enquête faite par Voyage en Grèce (revue touristique de propagande) et que l'on trouvera en tête de la seconde partie de ce recueil, sert donc, providentiellement, de charnière entre les deux parties dudit. Comment sortir de l'impasse, le Parthénon s'offrait pour cela et la précaution de toute première urgence et de toute première nécessité s'imposait : déceler l'aspect mondain de la chose (non pas du Parthénon ! bien sûr, mais de l'impasse) et le signaler sans grand espoir d'ailleurs de se faire entendre. La suite de l'argumentation entraînait une double affirmation : toute littérature fondée doit être dite classique, ou bien encore : toute littérature digne de ce nom se refuse au relâchement : automatisme scribal, laisser-aller inconstructif, etc. Les articles qui suivent, pour la plupart parus dans La Bête noire et dansVolontés répètent cette double thèse sous des formes variées et quelquefois sur un ton qui rappelle celui que je déplore pour la première partie. Je trouve plus satisfaisant (peut-être) de voir Joyce, Miller et Pound enrôlés (ou même shanghaied) dans ma barque ; plus satisfaisant sinon conclusif.
Extraits
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