#Roman francophone

Amours transversales

Catherine Cusset

" Quand elle avait quitté le studio à la tombée de la nuit, elle était éperdument amoureuse, elle juive, d'un Allemand trouvé en Italie. Il était beaucoup plus âgé qu'elle : trente-trois ans. Pendant des mois elle n'avait pu se réveiller sans voir le visage de Hans. Elle lui avait écrit une lettre. Il n'avait pas répondu. Elle n'avait jamais oublié Hans et cette délicatesse qui l'avait conduit à la laisser vierge. " Le souvenir de Hans habite Myriam, qui est mariée à Xavier, qui tombe amoureux de Camille, qui rencontre Luis, qui aime Margarita, qui est morte. Ainsi s'entrelacent les fils de ces amours transversales - ces amours qui ne sont pas celles sur lesquelles on fonde sa vie, mais qui n'en sont pas moins importantes - jusqu'à la tragédie finale.

Par Catherine Cusset
Chez Editions Gallimard

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Genre

Littérature française (poches)

 

 

 

 

 

TIRAMISU

 

 

Myriam avait vingt-deux ans quand Pierre la quitta. Ils s'étaient rencontrés trois ans plus tôt. Elle croyait qu'ils resteraient ensemble pour la vie.

Elle ne vit rien venir. Pas un signe sinon, la veille de la rupture, à une fête, l'étrange refus de Pierre de danser avec elle quand elle le rejoignit sur la piste vers deux heures du matin. Elle lui prit la main. Il se dégagea, lui demandant d'un ton irrité de le laisser tranquille : il dansait avec une autre fille. Elle alla pleurer aux toilettes. Au retour, dans la voiture, elle lui reprocha son manque de gentillesse. Il s'excusa, invoquant la fatigue, le stress du concours très difficile qu'il avait raté l'année précédente et qu'il préparait pour la seconde fois. Chez eux, ils firent l'amour. Tout était redevenu normal. Réveillée à dix heures après quatre heures de sommeil, elle le regarda dormir profondément, puis sortit acheter des croissants. Trouvant la boulangerie fermée, elle en chercha une autre, ce qui prit un peu de temps.

Quand elle rentra au studio, Pierre, habillé, debout près de la baie vitrée, rangeait des affaires dans un grand sac en toile.

« Qu'est-ce que tu fais ? »

Il leva la tête. Il pleurait. Elle ne l'avait jamais vu pleurer. Il était en train d'ôter du studio les livres et les vêtements qui lui appartenaient.

« Mais qu'est-ce que tu fais ? Tu es fou ? »

Elle s'approcha et voulut l'enlacer. De la main, comme s'il n'arrivait pas à articuler des mots, il lui fit signe de le laisser. Elle cria :

« Tu ne m'aimes plus ? »

Il partit sans un mot. Elle descendit cinq minutes plus tard et enfourcha son vélo. Aveuglée par les larmes, elle roula dans les rues vides du dimanche matin jusqu'à l'immeuble de sa grand-mère. Elle ouvrit avec sa clef et débarqua dans le salon en hurlant :

« Pierre m'a quittée ! »

Installée sur son canapé, la grand-mère de Myriam lisait le journal. Elle retira ses lunettes et leva la tête.

« Que veux-tu dire ? Pierre ? C'est impossible ! » s'exclama la vieille dame, complice des premières amours, qui chérissait Pierre et qui avait toujours soutenu Myriam de ses conseils judicieux.

« Mais si, pour toujours, je le sais ! »

Sa grand-mère fondit en larmes.

Le soir, de chez sa grand-mère, Myriam chercha à joindre Pierre chez ses parents. La mère de Pierre, Hélène, faisait barrage : Pierre ne pouvait pas encore lui parler, Myriam devait être patiente, attendre quelques jours. Cette femme affectueuse et chaleureuse que Myriam aimait comme une autre mère ne semblait pas surprise par une rupture qui avait fait à Myriam l'effet d'une bombe. Elle supplia Hélène de lui passer Pierre : juste pour une minute, pour deux mots. Elle implora, hurla, menaça de se tuer. La voix d'Hélène était ferme et douce. Elle s'adressait à Myriam comme à une malade. Elle lui dit qu'elle allait venir. Vingt minutes plus tard elle la retrouva sur le boulevard désert le dimanche soir, devant l'immeuble de sa grand-mère. Myriam monta dans la voiture d'Hélène. Elle n'avait qu'une idée : convaincre la mère de Pierre de la ramener vers lui. Mais Hélène se gara cent mètres plus loin, et répéta ce qu'elle avait dit au téléphone : il fallait attendre, être patiente. Elle promit que Pierre allait écrire. Myriam hurla, sanglota, demanda à comprendre, la tête contre l'épaule d'Hélène, qui lissait ses cheveux. Hélène resta deux heures.

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13/10/2005 267 pages 8,70 €
Scannez le code barre 9782070318520
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