AVANT-PROPOS
Les ruses d'Apollon
« Les Grecs sont des amants ingrats. »
GEORGES DUMÉZIL
Entre fusée dans l'espace, club de jazz outre-Atlantique, dieu nordique de l'intelligence ou Olympien resplendissant parmi les « Immortels »(les pauvres mortels dont il se gausse : « ils ne sont même pas capables d'inventer un remède à la mort1 »), Apollon traverse les siècles, il règne sur les images et les écrans de l'Occident. En 2008, quelque temps après les chevauchées d'Alexandre, les Jeux olympiques de Pékin lui ont ouvert à nouveau la route de l'Extrême-Orient.
Depuis des centaines de millions d'années, il le sait, les hommes, les « mortels qui vivent dans l'égarement », créent des dieux, des génies, des multitudes de formes, d'images, de figures de puissances surnaturelles. Tard venus sur une semaison d'îles bienheureuses, des Hellènes qui n'avaient pas encore les yeux bleus ont dit dans un de leurs dialectes combien étaient nombreux les dieux, ici et là. Ce qui a donné polytheos dans nos dictionnaires, d'où est né « polythéisme ». À n'utiliser qu'au pluriel : les polythéismes naissant d'eux-mêmes par reproduction spontanée, alors que son antonyme, le monothéisme masqué en « trois personnes », né d'une bévue de l'esprit humain, ne se soutient que de l'obstination de clergés, de dévots et d'Églises qui leur promettent avec la vérité absolue la plénitude de la voie de salut.
Apollon est bien placé pour le savoir : chaque dieu se décline au pluriel, que ce soit en Méditerranée, dans la mer du Japon, au milieu du Pacifique ou dans les îles Galapagos. Travaillant dans de minuscules laboratoires en « polythéismes comparés », des chercheurs toujours marginaux ont mis au point des approches expérimentales2 de ce que l'on appelait naguère des « panthéons », d'un mot grec dont les Romains ont fait un monument d'architecture. Une première impulsion est venue des études comparatives sur les dieux des Indo-Européens. À l'approche historico-génétique qui régnait entre les années quarante et soixante pour comprendre les divinités des polythéismes anciens, Georges Dumézil a substitué une analyse structurelle des ensembles polythéistes. Il croyait que, si l'on voulait comprendre comment des sociétés comme l'Inde, la Scandinavie ou la Grèce se pensent à travers des entités surnaturelles, il fallait s'intéresser de près aux modes d'organisation des systèmes de dieux. L'entreprise intellectuelle de Dumézil – elle va exercer une influence majeure sur les travaux à venir – commence avec l'attention portée aux structures immédiates de tant de polythéismes familiers : autels à dieux multiples, sanctuaires à divinités conjointes, fêtes et rituels qui, tantôt, associent deux puissances réunies pour l'occasion, tantôt, mettent en relation deux aspects d'une même entité, contrastés par des marques, qu'elles soient sacrificielles ou cérémonielles.
Extraits
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