LI YU, UN GÉNIE
AU PARCOURS FANTASQUE
Excellent est celui qui ne compte que sur sa nature originelle et ses dispositions innées.
Zhuangzi, VIII
Etre philosophe… c’est résoudre certains des problèmes de la vie non seulement théoriquement, mais pratiquement… Le philosophe est en avance sur son temps, même dans la forme extérieure de sa vie. Il n’est ni nourri, ni abrité, ni vêtu, ni chauffé comme ses contemporains.
Thoreau, Walden
Li Yu, un des plus joyeux génies et un des plus charmants excentriques que la Chine ait produits, un écrivain qui fut avec autant de bonheur dramaturge, romancier et nouvelliste, poète et essayiste, naît en 1611 sur la rive nord du bas Yangzi, à Rugao, au Jiangsu ; il est issu d’une lignée anciennement établie à Lanqi, à quelque 150 kilomètres au sud de Hangzhou, au Zhejiang.
Comme tout rejeton de famille lettrée, il doit se consacrer à de longues études avant d’affronter les examens ; en 1635, il a vingt-quatre ans, le voici « talent distingué », c’est-à-dire diplômé du premier degré des examens officiels, ce qui lui ouvre la voie, longue, fort ardue et hasardeuse, des concours provinciaux puis métropolitains. Comme il n’a encore ni trouvé sa vocation véritable ni pris pleinement conscience de ses dons, qui ne sont pas seulement littéraires, il met pour le moment toute son énergie à la préparation de cette course d’obstacles à l’issue de laquelle, dans le meilleur des cas et au prix d’un travail exténuant, on obtient le titre très convoité de « docteur » ; on peut alors être nommé à un poste de sous-préfet et entamer une traditionnelle carrière de « mandarin », de lettré-fonctionnaire ; si la fonction jouit d’un prestige certain, elle est très accaparante, chichement rétribuée, et peut d’ailleurs s’interrompre brutalement à la suite d’une disgrâce, d’une erreur judiciaire, de l’intrigue d’un collègue ou du caprice d’un supérieur…
Ces vicissitudes monotones que connurent tant de lettrés, un destin miséricordieux va, par de subtils subterfuges, les épargner à Li Yu. Il est d’abord recalé plusieurs années de suite aux examens provinciaux ; survient alors une terrible tourmente politique et sociale, l’effondrement de la dynastie Ming et l’arrivée au pouvoir des conquérants mandchous, qui fondent en 1644 la dynastie Qing.
A la faveur de ces échecs et de ces événements imprévus, Li Yu fait le choix d’une autre vie, originale, marginale, digne de lui et de ses talents. Il décide d’abord, ce qui est grave pour un lettré, de renoncer au harnais des charges officielles et de laisser à d’autres le bachotage frénétique et les dissertations aux figures imposées qui, la malchance aidant, peuvent aussi bien mener doucement à la démence, puisque l’on a vu des candidats malheureux s’acharner vainement jusqu’à quatre-vingts ans !
Le voici libre, presque trop ; il sait qu’il n’aura jamais, comme on dit, le « bol à riz en fer » d’un emploi stable, mais il respire mieux. Reste à trouver comment subsister. Son parti est promptement pris, car son instinct d’écrivain, infaillible boussole, depuis longtemps déjà le guide ; cette fois, il lui murmure que son imagination et son pinceau le feront vivre, à condition qu’il ait le courage d’en assumer les risques.
Extraits
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