Genre
Sciences historiques
Introduction
Aussi étonnant que cela puisse paraître – particulièrement pour certains Dauphinois – Aristide Bergès (1833-1904), cet homme à la fois ingénieur, entrepreneur, industriel et papetier, réalisateur de la seconde haute chute hydraulique (200 mètres) dans les Alpes françaises en 1869, créateur de la papeterie de Lancey en Dauphiné, pionnier et inlassable promoteur de l'utilisation de la force hydraulique née des glaciers et des ruisseaux de montagne – sa houille blanche – n'a jamais fait l'objet d'une véritable biographie. Pourtant, depuis les textes hagiographiques de Marcel Deléon en 1925 puis 1933, le personnage fait partie du panthéon dauphinois, au fronton des collèges ou sur les plaques émaillées des rues. Il est évoqué dans de multiples écrits, de l'article érudit à la bande dessinée, qui l'encensent, le critiquent, interprètent chiffres et textes, recopiant régulièrement les approximations et appréciations précédentes – positives comme négatives – ou en brodant de nouvelles. Il en résulte finalement une impression diffuse, la connaissance d'une silhouette du personnage sans réellement savoir quelle réalité elle recouvre.
Personnage totémique, la mémoire d'Aristide Bergès a toujours été marquée par les préoccupations des différents auteurs qui l'ont mobilisée et par là même construite : porte-drapeau d'une entreprise ou d'une profession, archétype de l'ingénieur grenoblois et père fondateur d'une industrie régionale, grande figure de l'histoire des techniques hexagonales, modèle de l'entrepreneur schumpéterien, bienfaiteur d'une vallée et de l'économie dauphinoise, habile récupérateur des réussites de ses confrères. Les titres des deux derniers textes qui lui ont été consacrés portent en eux-mêmes leur thèse et caractérisent un débat qui semble n'avoir guère évolué depuis 1899 et les premières escarmouches. En 1998, André Ducluzeaux publie La Houille blanche de Belledonne à la Romanche, Aristide Bergès, du mythe à la réalité, suivi deux années plus tard par Jean Billet qui écrit La Houille Blanche, Aristide Bergès et le Grésivaudan, berceau du développement régional moderne. La question est précisément d'essayer de dépasser cette vision émotionnelle du personnage vu comme une icône ou un mythe.
Pourquoi entreprendre une telle biographie ? L'essentiel semble avoir été écrit et réécrit mais, comme bien souvent, l'homme vaut mieux que l'image d'Épinal qui lui est attribuée. Si le personnage mérite une relecture de sa légende dorée, cette légitime interrogation nécessite en réponse une recherche inédite s'appuyant sur des sources disponibles et fiables pour retracer précisément sa trajectoire et la replacer dans son contexte. Par chance, l'historien dispose de ses « papiers », pieusement triés et conservés dans sa maison de Lancey, devenue musée et référence patrimoniale. L'étude effective et critique de ces documents de première main permet de répondre à bien des questions et de corriger de nombreuses erreurs reproduites à loisir. Pour autant, le croisement des sources est ici indispensable, et ce d'autant plus que l'évolution des mentalités comme les délais réglementaires de consultation permettent aujourd'hui une riche moisson. Lorsqu'elles sont ouvertes à l'historien, les archives publiques et privées permettent de mieux cerner les différents aspects du personnage et d'élargir la vision à son entourage professionnel, économique, social ou politique.
Extraits
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