#Essais

Peur bleue

Valérie Péronnet, Jean-Marie Ghislain

Jean-Marie Ghislain a vécu dix vies. C’est un authentique aventurier. En affaires comme en amour, il a connu les sommets et les abîmes. À cinquante ans, il traverse une crise personnelle qui le ramène à son enfance et aux peurs qui le tenaillent. Elles se cristallisent autour de l’eau et des profondeurs. Adolescent, il a manqué de se noyer et sa mère s’est suicidée en se jetant dans un puits. Son chemin intérieur le conduit à affronter ses angoisses. Il décide de partir à la découverte des requins qui incarnent pour lui le pire des prédateurs. Il pense défier la peur, il découvre la beauté, le sens de sa vie et même l’amour. En quelques années, il devient le plus grand photographe de requins. Son travail est exposé dans le monde entier. Ce livre raconte son histoire.

Par Valérie Péronnet, Jean-Marie Ghislain
Chez Editions Les Arènes

0 Réactions |

Genre

Récits de voyage

 

 

 

 

 

 

SITTING ON THE BLOODY CROCODILE

 

 

 

PENDANT DES SEMAINES, mon ami Alain m’a pressé de venir le rejoindre au Botswana pour l’accompagner à la rencontre des crocodiles. Et pendant des semaines, j’ai décliné l’invitation. Je connaissais Alain depuis longtemps, son énergie inextinguible et son désir inépuisable de repousser les limites, relever les défis, parfois jusqu’à prendre des risques démesurés.

J’ai fini par céder, parce que c’était plus simple de dire « j’arrive » que d’argumenter une énième fois sur les raisons de mon refus. Et depuis quelques jours, je me trouvais avec Alain et une poignée de photographes sud-africains dans le delta de l’Okavango, au paradis des crocos. C’était à l’aube. La veille, presque par hasard, j’avais pris de vraiment très près une belle image d’un très gros spécimen, qui avait suscité l’admiration et l’envie de mes compagnons de voyage. Ce matin-là, quand je nous ai vus nous jeter à l’eau, boîtiers à bout de bras, à l’embranchement de la rivière et du canal où nous avions repéré un gros mâle impressionnant, j’ai senti qu’ils voulaient tous faire mieux que moi. Un centième de seconde, tout mon corps m’a dit que je ne devrais pas être là. J’ai à peine eu le temps de repousser mes regrets que nous avons vu arriver l’énorme crocodile, qui s’est posé à fleur d’eau, à cheval entre la rivière et le canal. Cinq mètres de long, au moins. Un mastodonte. Affreusement dangereux. Une sorte d’électrochoc pour tous les mâles blancs qui barbotaient autour de lui : ce matin, on allait jouer à qui ramènerait la photo la plus incroyable, et chacun d’eux voulait gagner. Sauf moi.

 

Moi, je voulais juste que ça se termine rapidement. Et bien.

 

J’ai choisi de m’approcher très tranquillement, par la rivière, pour que si nous nous sentions piégés, l’animal ou moi, nous puissions nous échapper facilement au lieu de nous retrouver coincés en tête à tête dans le canal. Je savais très bien lequel de nous tous était le plus fort, et que ce n’était plus le moment de me demander ce que je faisais là, de me répéter que j’avais eu bien raison de refuser l’invitation d’Alain, et que j’aurais dû continuer à dire non. Maintenant, c’était le moment de rester concentré pour ne pas devenir la proie du monstre fauve que nous avions eu la bêtise de choisir pour proie.

Porté par le courant, je me dirigeais lentement vers l’emplacement que j’avais choisi, sans pouvoir encore apercevoir l’animal avec une visibilité de quelques mètres à peine, lorsque j’ai senti quelque chose me frôler et me doubler. Un de mes « camarades », pressé de gagner l’angle du banc de sable pour être certain de faire la meilleure photo, se rapprochait rapidement, sans réaliser que ses grands coups de palmes soulevaient la vase du fond de la rivière, et nous plongeaient dans un brouillard de boue.

 

Je n’y voyais plus rien.

Commenter ce livre

 

15/10/2014 150 pages 15,00 €
Scannez le code barre 9782352043607
9782352043607
© Notice établie par ORB
plus d'informations