Editeur
Genre
Littérature française
PREMIÈRE PARTIE
Save yourselves from depot wallahs
It is not a service but pure deception
They take you overseas
They are not colonies but jails
Éloigne-toi des gens du dépôt
Ils ne t'aideront pas
Ils ne t'apporteront que désespoir
Et par-delà les mers, ils t'emmèneront
Vers des colonies qui sont des prisons
Pamphlet distribué
dans l'État d'Uttar Pradesh (Inde)
à la fin du dix-neuvième siècle.
Ils étaient les joueurs
du camphrier
Pourtant, ils le lui avaient interdit à plusieurs reprises... Badri, ne joue pas aux cartes avec les garçons du village. Les jeux amènent le malheur sur la famille ! Badri, tu es notre unique fils, travaille un peu à la ferme au lieu de jouer !...
Mais à peine s'occupait-il des trois vaches et du vieux bœuf que l'envie de caresser les cartes le reprenait, l'occupait tout entier, le submergeait parfois. Elles lui étaient familières désormais et Badri les promenait partout, cachées au fond de la poche de son dhoti. Quand il s'asseyait en lotus, elles glissaient et venaient se reposer sur son sexe et c'était bon. Badri promenait ses cartes partout parce que, disait-il, personne ne savait quand un jeu commençait... Une discussion animée sur les effets de la sécheresse pouvait se transformer en un rien de temps en poker passionnant !
Badri aimait le silence feutré qui se creusait autour des joueurs. Un silence qui laissait croire qu'ici était un monde à part : un monde où ne comptent que les cartes et les tactiques, un monde où si l'on sait jouer des règles, on est le plus heureux des hommes. Badri avait son groupe de jeux : Debi le borgne, dont l'œil gauche avait été crevé par une corne de bœuf, Ram le bègue et Surad, quinze ans à peine mais rusé comme un vieux joueur. Parfois Bim, qui avait cinq vaches, six taureaux et un demi-arpent de terre à labourer, venait les rejoindre. Ils s'asseyaient sous le camphrier, là où la terre était toujours fraîche et bien tassée.
Et quand le soleil leur titillait le dos, ils avançaient avec l'ombre en se glissant sur leurs derrières. Parfois le jeu durait tellement qu'à la fin de la journée ils avaient fait un demi-tour de l'arbre !
Tout le monde les connaissait au village. Ils étaient les joueurs du camphrier.
À dix-neuf ans, Badri Sahu n'était jamais sorti de Sampor Khiro, son village enfoncé dans les terres de l'Inde. Il ne se tuait pas à la tâche, Badri. Il se contentait de faire les menus travaux que lui demandait son père, de transporter l'eau du puits, de porter le panier à légumes pour sa mère parfois... Mais très souvent, il restait allongé sous le peepal, l'arbre aux feuilles en cœur, à rêvasser. Ce qu'il voulait vraiment, à part gagner aux cartes toute sa vie, c'était voir la mer. La mer. L'eau noire. Le kala pani.
On disait que ceux qui allaient au-delà du kala pani perdaient leur caste. Qu'ils étaient maudits pour plusieurs générations et qu'ils renaissaient encore et encore et encore sans jamais connaître la paix. On racontait qu'au-delà du kala pani n'existaient que le malheur, le soufre de l'enfer et les cris des âmes errantes.
Extraits
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