Introduction
Jean-Marie Forget
Le monde actuel semble entraîné dans des changements qui auraient la spécificité d’être sans limites [86] et dont les moteurs seraient liés à des automatismes auxquels il paraît problématique d’apporter un frein, que ce soit la surenchère de la technicité, la stimulation incessante de l’économie de marché ou la mondialisation. La révolution industrielle a pu en son temps résulter d’une convergence de facteurs de même ordre. De véritables bouleversements se sont effectués alors dans l’idéologie, dans les domaines artistiques et scientifiques. Ils tenaient à la responsabilité de certains qui y risquaient beaucoup. Actuellement, les changements sont associés au discours de la science qui est sans sujet, à l’anonymat et à l’automatisme des mécanismes économiques en jeu. L’État-providence est régulièrement sollicité quand les traumatismes rappellent que le réel échappe aux calculs les plus sophistiqués. Le réveil exacerbé des croyances, qui alimente l’intégrisme religieux, est la marque de révolte de la subjectivité exclue. Ces recours à une instance ultime rappellent comment la question de la responsabilité est éludée par les logiques qui nous gouvernent et est difficilement assumée, voire bafouée, par ceux qui sont en position d’autorité dans la vie sociale.
Il peut sembler inapproprié ou illusoire d’espérer cerner si rapidement la complexité du monde actuel. Ce qui m’engage à tenter ce raccourci est le parallèle qu’on peut relever entre ce constat et le fait que la responsabilité et l’engagement de la subjectivité de chacun sont implicitement posés dans les modalités d’expression des souffrances psychiques qui s’offrent à notre pratique. On peut en tirer l’hypothèse que les modalités d’expression de ces souffrances sont corrélées à la structure des échanges sociaux. Elles en révèlent la consistance et elles peuvent se modifier suivant leurs changements. Les modifications qui touchent l’expression de la souffrance de nos proches nous enseignent, à plusieurs titres :
Mais ce n’est pas seulement l’expression des troubles qui se trouve modifiée, c’est leur structuration même qui se trouve transformée, ou c’est plutôt le défaut de structuration de ces troubles qui se révèle parfois, comme nous le verrons dans ce travail
Psychanalyste de formation psychiatrique, je me suis trouvé confronté à ces difficultés d’appréciation pour tenter de rendre compte du réel de cette clinique. C’est cette pratique qui me fournit l’assise pour proposer les remarques qui vont suivre. Ma pratique de psychanalyste et de psychiatre dans un lieu d’accueil et de soins pour des adolescents a notamment attiré mon attention sur l’acte et précisément sur la fréquence et les différentes formes de mises en acte. L’enjeu de ces mises en acte est toujours vital pour l’adolescent et marque le désarroi d’un sujet en mal de reconnaissance. L’accueil que réserve le praticien à ces manifestations est crucial pour que le sujet puisse organiser, ou non, une manifestation symptomatique qui témoigne de son identité.
Extraits
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