De la rupture au maintien des liens
Alain Bouregba [*]
Toute ontogenèse suppose un processus de séparation. Grandir, c’est intérioriser ses objets d’attachement au point de pouvoir supporter qu’ils s’éloignent. Les progrès de l’individualisation, chez l’enfant, s’accompagnent d’une meilleure tolérance à la séparation. Se séparer physiquement tout en restant présent par la pensée est un trait spécifique de la personne humaine. C’est pourquoi la séparation est à la base de la culture elle-même. Dès lors qu’il a voulu s’éloigner sans perdre, l’humain a créé les différents moyens de communication. De façon parallèle, quand il a voulu que la mort n’équivaille pas à un effacement il a créé les rites funéraires, des mises en mots et en gestes qui ont pour objet d’aider à la permanence des objets qui nous sont chers et qui se dérobent au monde des vivants. Du point de vue social, comme du point de vue individuel, le processus de séparation, loin de constituer une entrave, est une fabuleuse opportunité de création et de symbolisation.
Cependant, certaines séparations représentent de tels traumatismes qu’elles ont pour effet de compromettre voire d’interrompre le développement de l’enfant. Un vécu traumatique est une expérience que la structure psychique interne du sujet ne peut lui réfléchir ou lui représenter. L’humain ne réagit pas aux événements de façon réflexe. Ses conduites sont déterminées par la manière dont il se représente l’événement.
Dans l’hypothèse où l’événement ne peut être interprété par un sujet et ceci quelle que soit la forme d’interprétation, alors il ébranle la structure interne et équivaut à un traumatisme.
L’orage suscite la peur tant que le sujet ne peut pas lui attribuer une signification. Dès lors qu’on y voit une manifestation de la puissance d’un esprit ou d’un phénomène électromagnétique, l’orage est un phénomène prévisible auquel l’attribution d’une signification ôte l’aspect effrayant. Tant que l’enfant n’a pas accès à ces interprétations, à ces mises en mots, il attend de ces parents une réassurance palliative de son insuffisance interne. Si le parent n’est pas capable de cette réassurance, s’il ne peut substituer sa présence aux défaillances de la structure interne de son enfant, alors celui-ci peut être terrorisé par l’orage et cette terreur peut s’incruster durablement dans son inconscient.
L’exemple de l’orage et des peurs qu’il suscite permet de rapprocher le traumatisme psychique du mécanisme à cause duquel la structure psychique interne n’est plus en mesure de restituer au sujet une image de son vécu, suffisamment distancée de l’événement, pour qu’il s’y adapte non de façon réflexe mais élaborée. Un traumatisme équivaut à un événement qui, faute d’être mis en mots, met en pièces.
Quand un événement est chargé d’un trop d’émotion, celle-ci submerge la structure psychique et la rend, comme le démontrait S. Freud [1] , [2] , incapable d’ordonner sa réflexion. Cette définition du traumatisme permet de rendre compte des conditions à partir desquelles une séparation, de l’enfant et de son parent, est vécue comme un choc psychologique véhiculant des affects qui ne peuvent être ni abréagis, ni associés.
Extraits
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