#Essais

COMBAT DE LA RESISTANCE A LA REVOLUTION. Juillet 1968 - Juin 1970

Maurice Clavel

Qu'est-ce qui peut m'excuser d'avoir réuni en un livre ces chroniques du Nouvel Observateur et de Combat, ces témoignages et ces pensées qui relèvent de l'éphémère ? C'est peut-être que de nos jours il n'y a plus d'éphémère, puisqu'il n'y a plus de durable, encore moins d'éternel. C'est peut-être qu'on trouve aujourd'hui plus de sens, implicite ou caché, dans tel événement que dans telle doctrine. Que le discours en règle est usé avant que de naître, dans sa trame ou dans ses racines. C'est que, comme le disent ou le suggèrent ces textes, nous sommes dans une ère de faille, de transition ou de révolution culturelle - étant bien entendu que la culture est dans l'homme le plus profond. C'est que la vérité de telle ou telle invention a moins de poids que l'authenticité de la recherche. Un important philosophe me demanda, en juin 1970, à la date où s'arrête ce premier recueil, " le livre de philosophie qui est en filigrane de vos articles ". Je promis d'essayer. Je ne pus, ou je n'eus pas le temps. Je me récusai. Il me répondit joliment qu'il y avait, en fin de compte, plus de lumière dans le filigrane que dans la page.

Par Maurice Clavel
Chez Flammarion

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Editeur

Flammarion

Genre

Histoire de France

 

 

 

 

 

1968

 

 

 

Avignon contesté

 

 

29 juillet

 

Un beau matin de mai 1947, vers 8 heures, Vilar, au téléphone, m'éveille. Son triomphe dans « Meurtre dans la cathédrale » lui avait peu rapporté. Il était presque au chômage. Moi j'avais une pièce en souffrance, que j'avais retirée de chez Barrault indécis, pour la lui donner, mais sans aucun espoir de théâtre. Enfin, il m'avait demandé de trouver un angliciste sachant écrire en français pour lui traduire, à tout hasard, « Richard II ». Mon ami Jean Curtis s'était dévoué, sans illusion…

Vilar m'apprend qu'on lui offre de rejouer « Meurtre dans la cathédrale » dans une salle du Palais des Papes, à l'occasion d'une exposition de peinture, et qu'il a proposé, à la place de cette reprise qui l'ennuie, trois créations en plein air : « Richard II » de Shakespeare, « Tobie et Sarah » de Claudel, ma pièce. Il me demande d'être à 9 heures dans l'antichambre de Jaujard, directeur des Arts et Lettres, pour l'aider à forcer l'entrée, afin de mendier trois sous.

Tout était neuf, tout fut bref. Dès ce premier instant, il me parla de vaste public populaire, de fête, de communion, de libération du théâtre, de lumières sans décors, d'imagination, d'étoiles, de vraies étoiles du ciel au lieu de stars et vedettes. Je disais oui, pris d'ivresse, un peu de vertige… Dans l'antichambre de Jaujard, nous trouvâmes Hermantier qui me dit : « Tu as une bonne tête. – Bon, tu joueras le Duc d'York ! » lui dit Vilar sans transition.

Jaujard promit trois sous, pas quatre. La municipalité communiste d'Avignon, un peu plus. Le tout faisait moins de la moitié d'un budget très pauvre. Moyenne par acteur : 18 000 F pour trois rôles. Vilar les engagea par contrat sans provision. Dussane jouerait la mère Tobie et conférerait à la troupe, à la horde, un certain sérieux. Cuny accepta l'ange Raphaël mais refusa l'évêque de Carlyle, disant : « Le rôle a 80 lignes. Moi, pour me mettre en train, il m'en faut déjà 100 ! » Pour cet évêque et la jeune fille de ma pièce, nous prîmes, après audition, deux élèves dont c'était le premier rôle sur scène : Jeanne Moreau, Jean Leuvrais. Maurice Cazeneuve, 23 ans, mettait en scène « Tobie et Sarah », Vilar les deux autres spectacles. Montero, qui jouait alors « Divines paroles », nous suivit avec gaillardise. De même Michel Bouquet et Silvia Monfort, alors quasiment inconnus.

Vilar répétait aussitôt. Moi je courais dans Paris après de l'argent. On m'avait signalé un prince égyptien mécène. Essayant de le traquer, je tombai sur un vague secrétaire, comédien retiré faute d'engagement, qui me dit d'emblée : « Vous n'auriez pas une toute petite chose ? » On le prit, dans l'espoir d'accéder au prince, pour jouer le jardinier du roi Richard. C'était Jean-Paul Moulinot. Le prince, on ne le vit jamais. Je ne suis pas sûr qu'il existât. À l'heure même où la costumière refusait de porter le premier coup de ciseau dans un tissu impayé, je trouvai 300 000 F chez un ami, M. Philippe, directeur d'un cinéma d'art. Vilar signa une reconnaissance de dette, que le directeur du T.N.P. honora six ans plus tard.

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01/07/1972 251 pages 9,20 €
Scannez le code barre 9782080606006
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