Psy de banlieue

La promesse

On s’en fout !

Voilà. Ils s’étaient tous amenés un après-midi de mai où je pensais pouvoir me consacrer tranquillement à ce qui m’occupait : un grand chagrin d’amour. Vautrée dans mes regrets, j’avais passé quelques heures à gratouiller la plaie saignante en me répétant pour m’en convaincre : « Elle a raison Dominique, François n’est pas un homme pour moi. » Cette première étape de la descente en enfer étant achevée, je m’apprêtais à entamer la seconde, l’enfouissement sous la couette, d’où je me laisserais glisser dans l’abîme d’une inaltérable tristesse.

C’est alors qu’entre la cuisine où je venais d’avaler deux whiskies secs et ma chambre, éberluée, je les avais aperçus dans le couloir. Faut dire qu’ils étaient venus en nombre : la mère Ubu et les Verchoux, le Hérisson et la SœurSimone, Euphrosine Basseterre et ses enfants, Banou Bano, Jeff et Francette, madame Fofana, Fatou Bassama, Selma, Adama, Angélique, Benjamin, Mouloud, Toufik, Lupin, Georgia et Toufik, Solange Danville, et les autres… Ils étaient là, debout, serrés les uns contre les autres, muets, pas hostiles mais l’œil sévère.

Ça m’avait fait un choc de les voir rassemblés là, chez moi, dans mon intérieur. D’habitude c’était moi qui allais chez eux, ou alors on se voyait ailleurs, jamais dans mon salon. Qu’est-ce qu’ils pouvaient bien me vouloir ?

C’est Fatou Bassama qui avait parlé pour eux. De sa voix grave et lente, elle avait dit : « Montembeau, on s’en fout de tes peines de cœur. T’as qu’à les étendre sur le balcon et à les laisser se dissoudre dans le vent du soir. Nous, on est là pour bien plus important. On est là pour la promesse. »

« La promesse ? », avais-je balbutié.

« Oui, Montembeau, la promesse. T’as oublié ? Tu répétais : faudrait pourtant que je leur dise aux autres, à ceux qui ne voient rien et qui n’entendent rien, ce qui se passe ici dans nos maisons. Tu répétais qu’il faudrait leur raconter à ceux qui ne savent pas comment on est, comment on vit, et ton métier aussi, tu disais qu’il faudrait raconter, pour qu’il continue, et que d’autres viennent aussi. Tu te rappelles, Montembeau, que tu disais ça ? Et nous, on te croyait. On se disait, on ne sait pas bien parler, ni bien écrire, mais elle, la Milie-Rose, elle sait, elle va le faire. On espérait, on attendait. Mais le temps passe, et on ne voit rien venir. T’as toujours un prétexte pour faire autre chose. T’attends quoi pour t’y mettre ? T’as quoi de plus important à faire ? Tu dors ou quoi ? »

C’est vrai. J’avais dit ça, je l’avais répété même : un jour je raconterai. Et je n’en avais rien fait. Peut-être que j’avais préféré mes petits malheurs au vrai travail… Peut-être que j’avais dormi, oui. En tout cas, leur visite m’avait réveillée. Plus question de couette, je dormirais dans une autre vie.

J’ai dit : « D’accord, je m’y mets, tout de suite. Promis. » Et je les ai regardés dans les yeux, un à un. Ils ont acquiescé, et ils sont repartis, sans rien dire. Tout de suite après j’ai fait couler un café et j’ai ouvert l’ordinateur : une promesse est une promesse.