Introduction
Jean-Noël Jeanneney
À grand fracas, sur la scène parisienne, le professeur israélien Zeev Sternhell vient de marteler sa conviction que la France a été le berceau du fascisme au XXe siècle, son « laboratoire intellectuel » et en somme sa terre par excellence : à preuve le rayonement d’un grand parti l’exprimant – le PSF du colonel de La Rocque – et le régime de Vichy qui en serait une incarnation accomplie. Non qu’on ne connût déjà cette idée, car les ouvrages antérieurs de l’auteur, où elle s’est progressivement affirmée et durcie – ouvrages portés par les prestiges d’une ample culture et d’un labeur approfondi – avaient été lus et discutés, chez nous, avec attention. Mais plus que jamais, ces temps-ci, il met flamberge au vent. Et pour donner son plein éclat à son propos, il a choisi, dans le cours d’entretiens autobiographiques intitulés Histoire et Lumières. Changer le monde par la raison, plutôt que de répondre en profondeur aux possibles objections, de peindre un diable sur le mur afin de le transpercer tout à son aise.
Ce diable n’est autre que « l’école des Sciences politiques » qui, fille de René Rémond, aurait farouchement refusé d’agréer, par un mélange de pusillanimité et de patriotisme puéril, les vérités dérangeantes qu’un esprit libre – le sien – leur apporterait du dehors. Le seul souci de « notre corporation » serait de « préserver son bien et sa légitimité : la vérité pou[vant] attendre… »
J’observerai d’abord qu’il n’y eut jamais chez René Rémond, entre la rue Saint-Guillaume et Nanterre, l’ombre d’un caporalisme, et que les historiens que pourfend Zeev Sternhell sont des personnalités de générations différentes, inégalement proches et fort rétives en tout cas à tout embrigadement. Cependant, soit : il est vrai que, la plupart, formés à proximité, sont liés par l’amitié, et qu’ils se rejoignent sur une certaine idée de l’histoire politique en renouveau dont nous avons tâché, à l’initiative de Serge Berstein et de moi-même, sous les auspices de René Rémond, de résumer, voici un quart de siècle, les lignes directrices1 ; par-delà les années, elles conservent de leur vitalité et irriguent nombre de travaux auxquels l’historiographie future reconnaîtra, je le crois, parmi la grande diversité des plumes, une certaine cohérence enrichie par la cohésion de divers chercheurs autonomes. Le livre que voici ne s’expliquerait pas sans cela.
De là à chasser en meute… Chacun d’entre nous tient trop, pour y songer, à son indépendance – comme à la prunelle de ses yeux. On constatera d’ailleurs que nous n’avons pas cherché à faire entendre une voix unique sur tous les sujets abordés dans ce volume : ainsi Marie-Anne Matard Bonucci et Steven Englund divergent-ils, par exemple, sur la question, abondamment traitée par notre auteur, de l'antisémistisme à la fin XIXe siècle. Rien qui empêche, pour autant, de se retrouver autour de convictions partagées et parfois, comme il advient ici, de protestations déterminées.
Extraits
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