PRÉSENTATION
La réflexion sur l’athéisme n’est pas sortie tout armée de la tête de Pierre Bayle. Elle s’est développée au fil de quatre ouvrages qui constituent un ensemble polémique dont les arguments se font écho, et dont l’athéisme n’est jamais le sujet unique et principal. Il y est lié à une enquête sur la superstition, à une interrogation sur le lien entre société et religion et, plus généralement, à une recherche sur les ressorts de l’esprit humain. À la croisée de la pensée morale, religieuse et politique du philosophe, la question de l’athéisme participe d’une réflexion jamais interrompue sur les fondements de la croyance, le devenir historique des religions, la valeur du suffrage des peuples, le problème du mal.
Avant son installation à Rotterdam, à l’automne 1681, Bayle a surtout écrit des ouvrages didactiques ou de circonstance : des thèses, son cours de philosophie et une Harangue du duc de Luxembourg à ses juges, sans compter une abondante correspondance. La comète qui a paru en décembre 1680 lui inspire un essai en français, qu’il destine d’abord au Mercure galant. Mais ce qui ne devait être qu’un opuscule grossit au fil des mois, si bien qu’au printemps 1682, c’est sous la forme d’un volume séparé que paraît la Lettre à M. L. A. D. C. Docteur de Sorbonne où il est prouvé par plusieurs raisons tirées de la philosophie et de la théologie, que les comètes ne sont point le présage d’aucun malheur. Avec plusieurs réflexions morales et politiques, et plusieurs observations historiques ; et la réfutation de quelques erreurs populaires. Publié « à Cologne, chez Pierre Marteau », fausse adresse utilisée par les imprimeurs pour les ouvrages subversifs, le livre connaît une deuxième édition en 1683 sous le titre Pensées diverses écrites à un docteur de Sorbonne à l’occasion de la comète qui parut au mois de décembre 1680.
Ni le sujet choisi, ni même la réfutation du caractère miraculeux des phénomènes célestes ne sont alors originaux : déjà, la comète de 1665 avait entraîné une floraison d’écrits contre la superstition, et l’apparition de celle de 1680 inspira en France moins de crainte que de madrigaux. De plus, l’hostilité aux prodiges est depuis longtemps un thème cher aux protestants : après l’Avertissement contre l’astrologie qu’on appelle judiciaire, écrit par Calvin en 1549, les pasteurs et théologiens réformés n’ont cessé d’enrichir une réflexion qui s’appuie sur la critique du goût catholique pour les miracles. Le passage d’une comète n’est donc pour Bayle qu’un prétexte offert par l’actualité pour développer des idées philosophiques et religieuses arrivées à maturité.
Le caractère anonyme de la publication et le masque catholique qu’emprunte l’écrivain protestant ne trompent guère les théologiens du Refuge, cette communauté huguenote qui a fui en terre réformée les intimidations qui précèdent la révocation de l’édit de Nantes en 1685: ils identifient rapidement l’auteur d’un livre qu’ils accueillent d’abord favorablement, parce qu’ils y ont décelé un pamphlet contre l’Église romaine. Cependant, le succès de Bayle auprès de ses coreligionnaires ne dure guère : dans le contexte de la fin du siècle, la menace principale n’est plus le catholicisme et l’abjuration de protestants effrayés par les persécutions, mais la tentation, chez les huguenots, d’un rationalisme qui ressemble de plus en plus à un déisme pur et simple ; les Pensées diverses paraissent désormais suspectes. De plus, aucune des factions qui déchirent alors le Refuge ne regarde d’un bon œil leur auteur, un laïc hostile à tout sectarisme.
Extraits
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