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Les hauteurs. Bon sang ! Pourquoi toujours les hauteurs ?
Diego Escobar balaya du regard les poutres en acier du chantier qui s’élevait vers le gris ciel matinal, et une vague d’acidité lui brûla l’estomac.
Sa peur du vide était apparue deux ans plus tôt, quand cinq camés l’avaient suspendu par les pieds à la terrasse d’un luxueux hôtel de trente étages et menacé de le laisser tomber. Son partenaire, Jobe, un excellent flic, avait posé son arme et levé les mains pour le sauver. Les malfrats avaient alors hissé Diego sur le balcon avant d’ouvrir le feu. Diego avait survécu ; Jobe, non.
Sa rage et sa douleur s’étaient manifestées sous la forme d’une phobie obsessionnelle du vide. Aujourd’hui, monter trois niveaux dans un ascenseur aux portes vitrées pouvait lui donner des sueurs froides.
— C’est tout en haut ? demanda-t-il à Rogers, le policier en uniforme.
— Oui, monsieur.
Merde.
— Hooper est presque sûr que ce n’est pas humain, ajouta Rogers. Ça bouge trop vite, selon lui, et saute trop loin. Mais rien de visible, pour l’instant.
Pas humain, c’est-à-dire garou. De mieux en mieux !
— Hooper est seul là-haut ?
— Jemez est avec lui. Ils pensent avoir réussi à coincer le garou au cinquante et unième étage.
Au cinquante et unième ?
— Dis-moi que tu plaisantes !
— Non, monsieur. Mais il y a un ascenseur. Le fournisseur d’électricité doit nous rétablir le courant.
Diego examina les portes rouillées que lui désignait Rogers avant de lever le regard à travers les poutres qui quadrillaient le vide. Il ne vit rien d’autre que le ciel cendré qui surplombait l’enchevêtrement de supports métalliques. Il déglutit, la bouche sèche.
Cet ensemble d’immeubles situé au milieu de nulle part (censé regrouper habitations collectives, résidence hôtelière, tours de bureaux et centre commercial) était en chantier depuis des années. Lancé en grande pompe, le projet visait à attirer touristes et locaux afin de réduire la circulation sur le Strip engorgé. Avec la crise du bâtiment, la plupart des investisseurs s’étaient retirés, et la construction avait été suspendue. À présent, le gratte-ciel inachevé se dressait tel un amas de rouille en plein désert.
Pister les garous ne figurait pas parmi les tâches de Diego, détective à la brigade des mœurs. Il avait entendu le signalement de l’intrus alors qu’il se rendait au poste de police et avait répondu à l’appel, car il se trouvait dans les parages. Diego pensait aider Rogers à poursuivre le malfaiteur avant de regagner son bureau.
Et voilà que l’autre lui demandait de grimper au cinquante et unième étage, dépourvu de plancher qui plus est, afin de pourchasser un suspect qui était peut-être un garou. Ces créatures étaient dangereuses. Des humains capables de se transformer en bêtes. Ou des animaux qui prenaient une apparence humaine. Cela restait à déterminer. Quoi qu’il en soit, on avait décrété qu’ils représentaient une trop grande menace pour vivre parmi les humains. Voilà pourquoi ils avaient été confinés dans des quartiers garous et forcés de porter des colliers qui régulaient leur violence innée.
Extraits
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