Introduction
« Vice et vertu sont parents comme diamant et charbon. » Lorsque l’écrivain autrichien Karl Kraus, dans Dits et contredits (1909), formulait cette réplique, il avait sans doute en tête une autre phrase que l’historien Hippolyte Adolphe Taine avait notée dans son Histoire de la littérature anglaise (1863), presque un demi-siècle auparavant : « Le vice et la vertu sont des produits comme le vitriol et le sucre. » En effet, ces deux réalités humaines fondamentales sont connexes à partir d’une base commune – comme c’est le cas avec le carbone pour les diamants et le charbon –, mais en même temps antithétiques comme le sont l’acide corrosif et le glucose. Pour en donner un exemple, le dédain peut être une vertu, lorsqu’il est une défense passionnée de la justice bafouée et une protestation contre l’injustice, l’abus, la prévarication et l’illégalité. Mais lorsqu’il éclate en une tempête irrationnelle et incontrôlable, il devient un péché, la colère, quatrième vice capital.
Comme cela arrive souvent, le positif et le négatif sont « polaires », ils s’attirent l’un l’autre et sont nécessaires pour s’expliquer réciproquement (un peu comme pour un champ électrique). C’est pourquoi, après avoir défini le septénaire « vertueux » dans notre essai Ritorno alle virtù (2005) – foi, espérance, charité, prudence, justice, force et tempérance –, nous nous tournons maintenant vers le domaine peut-être un peu plus enflammé et excitant des sept vices capitaux, énumérés traditionnellement ainsi : orgueil, avarice, luxure, colère, gourmandise, envie et paresse. Notre développement sera plus ample, non seulement parce que le goût de l’interdit attire une plus grande curiosité, provoquant des émotions, excitations ou troubles secrets, mais aussi parce que, de plus en plus, notre époque confirme le sévère jugement de l’écrivain franco-roumain Émile Cioran (1911-1995) : « Autrefois, on se définissait sur la base de valeurs acceptées ; aujourd’hui au contraire par rapport à celles qu’on a répudiées. »
Nous assistons souvent, plutôt qu’à une répudiation, à une sorte de déformation du vice qui perd son aspect éthique pour devenir une mode. L’atmosphère qui nous entoure, plus que délibérément immorale, avec toute la vis polémique et désacralisante que cette attitude comporte, se présente comme amorale, grise et en substance indifférente et insouciante des frontières entre vice et vertu. Et pourtant, justifier le recours au vice comme à un acte presque physiologique et instinctif, source de liberté et de plaisir, reste enfin une illusion sur le plan pratique également. L’alcoolique ne réussit plus à savourer la qualité, le nerf et le bouquet du vin, de même que l’érotomane qui se gave de vidéos pornographiques ignore totalement la fascination de l’éros, l’intensité du plaisir, en plus bien évidemment des exaltantes créativité, beauté et douceur de l’amour.
Extraits
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