Prologue
C'est un ras le bol autant qu'un raz de marée. Dont la presse fait ses unes autant que ses choux gras et la télévision des débats autant que de l'audience.
Je ne parle pas des frasques coquines de telle ou telle personnalité, ni de la dette, de la crise ou du retour de telle tendance mode, mais du rapport aux aliments et des habitudes de consommation bouleversées en train de conquérir le monde développé, donc la France.
Eh oui, mondialisation de l'agro-alimentaire oblige, parce que nous mangeons de plus en plus de la même manière sur toute la planète, se répand – dans les pays où la nourriture n'est pas une carence, mais une abondance – une autre façon de voir les repas. Une autre manière d'appréhender la table, de sélectionner ses aliments. L'un refuse d'avaler de la viande et en fait un livre à succès, un deuxième défend la nécessité d'abandonner le gluten, d'autres ne jurent que par les règles végétariennes voire végétaliennes, bannissent le lait au nom (a minima) de l'intolérance au lactose, dénoncent les produits de synthèse… etc. Et tous disent « non » à la nourriture actuelle, jugée incertaine, trafiquée, malsaine, polluée, bardée d'huile de palme et autres substances souvent cancérigènes et dangereuses. Le règne de la « toxique bouffe » étant à leurs yeux advenu1, la nourriture proposée aujourd'hui leur semble source de périls. Aussi s'en prémunissent-ils en essayant de manger autrement, en changeant leurs us et coutumes, en envoyant tout valdinguer.
Soit. Pourquoi pas même : chacun sa liberté. Mais ne courent-ils pas d'autres dangers en révolutionnant ainsi leurs habitudes ? Et, au-delà de l'aspect sécuritaire de leur démarche – et de ses éventuels risques –, sont-ils obligés, ces nouveaux convertis, de se comporter en adeptes acharnés prêts à évangéliser tout le monde au nom de leur récente conversion ? Pourquoi, à la base, des personnes sans confession avérée – je n'ai pas rencontré de mangeurs sans gluten chez les adeptes de la nourriture kascher ni halal, mais un peu plus chez les fans de nourriture macrobiotique – éprouvent-elles le besoin de professer des convictions alimentaires différentes comme si elles entraient dans une nouvelle religion ? Doivent-ils forcément en arriver, ces gens, à concevoir leur approche originale de la nourriture comme une secte à laquelle tout un chacun devrait s'adonner ? Sont-ils même obligés de créer leurs propres établissements, sortes d'églises de la contre-culture alimentaire où l'on ne jure que par une autre vision de la nourriture, comme on en voit désormais à New York, où il existe depuis peu des pizzerias et des fast-food qui proposent des pizzas ou burgers sans gluten, voire sans viande ni lactose ?
Évidemment non ; et tous, heureusement, n'affichent pas un zèle prêcheur intempestif voire autoritaire. Néanmoins, à force de constater au fil de mes voyages l'émergence de tant de « pratiques alimentaires » nouvelles, je me suis interrogé : d'où provient cette explosion ?
Extraits
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