Editeur
Genre
Littérature française
I
LA PUBLICATION DE
VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT
ET L'INCIDENT DU PRIX GONCOURT
(Novembre 1932-mars 1933)
Si Céline avait pensé, sous le couvert du pseudonyme et moyennant quelques précautions, mettre sa personne et son activité professionnelle à l'abri de toute exhibition dans la presse, il fut finalement déçu. Avec quelque retard par rapport à la mise en librairie du roman le 5 octobre 1932, les comptes rendus se multiplièrent, et la vivacité des réactions pour ou contre qu'ils manifestaient ne pouvaient manquer de faire remonter la curiosité de l'œuvre à son auteur. Dès le 7 novembre, un journaliste de Paris-Soir « déniche » Céline (no 1). De ce premier commentaire public que Céline fait de Voyage, on retiendra, outre le mélange de vérité et d'erreur dans les indications biographiques qu'il donne – mélange qui restera la règle dans toutes les interviews –, l'insistance qu'il met à donner pour thème du roman la » misère humaine » (le mot revient à cinq ou six reprises) et, en ce qui concerne la langue, une affirmation qui reste ambiguë dans son contexte (« j'ai écrit comme je parle ») mais qui est grosse de tous les exercices et de toutes les réussites à venir : « Cette langue est mon instrument. »
Quelques semaines plus tard, Céline est, après une réunion préparatoire du jury Goncourt, le lauréat officieusement désigné du Prix. Bien placé pour le savoir, puisqu'il est le fils de Lucien Descaves qui s'est fait dans le jury le champion de Céline, Max Descaves vient voir celui-ci à son dispensaire, assiste à la consultation, et dans un article publié le matin même du jour où le prix doit être attribué (no 2), il donne, sans encore le nommer, la première image du docteur Destouches face à ses malades.
Au moment du scrutin, un revirement de plusieurs membres du jury prive Céline du prix Goncourt, provoquant la colère de Lucien Descaves, dont les déclarations vont déclencher un scandale. Céline a reçu le prix Renaudot, son éditeur donne une réception en son honneur ; les journalistes y recueillent plus ou moins bien quelques propos qu'ils rapporteront dans leurs articles. Dans la presse des jours suivants figureront encore d'autres propos isolés, mais aussi trois interviews. La première, réalisée au dispensaire par Merry Bromberger (no 3), contient sur Voyage des déclarations intéressantes dont l'authenticité est attestée par la mention des trois « maîtres » que se reconnaît Céline. La seconde, celle de Paul Vialar (no 4), nous introduit pour la première fois dans l'appartement de la rue Lepic (et comment l'évocation au passage de « la concierge aux cheveux blancs » ne nous ferait-elle pas penser à la mort de Madame Bérenge, dans la première page de Mort à crédit ?). La troisième (no 5) est réalisée pour Monde, l'hebdomadaire de Barbusse, par le journaliste qui a fait, fin octobre, le premier compte rendu très favorable de Voyage, Georges Altman. Il va devenir jusqu'en 1937 un ami de Céline. C'est lui qui, dans le portrait qu'il fait de Céline, donne le mieux le sentiment d'une présence, et à qui Céline va faire les réponses les plus profondes (« L'essentiel, dans la littérature, c'est de poser une question » – « Le Voyage, c'est un roman, mais ce n'est pas une histoire, de vrais personnages. Ce sont plutôt des fantômes ».)
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