Le bruit de la moto dans la nuit. Voilà, il vient de revenir. Il est encore loin. Mais très vite il se rapproche, pour ensuite se volatiliser de manière définitive. Un bruit sec, qui s’étire et n’en finit pas — jusqu’à ce qu’il ne reste rien de lui.
Un bruit — seul, complètement seul.
Après, le silence est total, et j’arrive la plupart du temps à me rendormir avant que les oiseaux ne commencent leur tintamarre du matin. Puis quelqu’un s’avachit dans le lit derrière la cloison ; ou quelqu’un rentre à la maison, manque de déglinguer la porte, finit affalé par terre. C’est toujours la même personne.
Encore après, le réveil sonne et je me lève — si tant est qu’il ne pleuve pas trop ou que je n’aie pas de bonnes raisons pour rester couché.
Je me lève avec l’espoir qu’un beau jour la douche daignera fonctionner. En allant à la salle de bains j’enjambe celui qui gît sur le sol. J’ai toujours présumé qu’il dormait, d’un sommeil profond, rythmé par les gargouillements, son chapeau à quelques centimètres de lui ainsi que son manteau couvert de taches de boue.
C’est le matin dans la maison et je me demande comment je vais occuper ma journée. Souvent, je décide en fin de compte d’aller à l’école. Du coup je me trouve un tee-shirt dans le tiroir et j’enfile mon coupe-vent, je fourre dans mon sac les livres qui sont à portée de main, puis je traverse d’un pas lourd les champs donnant sur les HLM jaunes de la banlieue que le soleil entreprend timidement d’éclairer.
Le bruit de la moto est parti et ce sont de tout autres bruits qui me suivent à travers les champs humides où les carcasses de voitures rouillent et se transforment en terre avec le temps.
Un jour nouveau vient de commencer et je n’en peux plus de marcher pour entrer en lui.
Je ne peux décemment pas continuer d’avancer dans ces champs détrempés sans mentionner le gang Mamba. Avant, il s’appelait le gang Caramba — mais c’était nul comme nom. Personne ne les aurait jamais pris au sérieux avec un nom pareil. Ils se sont donc rebaptisés le gang Mamba et, là, personne n’a eu de problèmes pour les prendre au sérieux. En fait, ce sont eux qui tiennent la banlieue d’une main de fer. Ou plutôt leur chef : Johnny Mamba. Sauf que lui, on le voit rarement. Les autres, en revanche, on les voit. Et plus qu’assez. Nul ne peut les louper quand ils zonzonnent sur leurs motos qui foncent à toute blinde, en marcels sales, jeans déchirés et blousons en cuir doublés d’une fourrure blanche, avec un mamba noir dans le dos.
La rumeur veut qu’ils aient tué des gens, mais je n’en sais pas plus que ça. Ils passent surtout leur temps à briser des vitres, à voler des bières dans les magasins ou à casser les chiottes du collège. Ou alors ils jouent avec leurs couteaux, boivent leurs bières dont ils cassent les bouteilles aux pieds de mères au foyer terrorisées.
La police ? De temps en temps elle en embarque un. Mais alors Johnny Mamba ou sa mère font un petit détour par le commissariat et le type arrêté se retrouve dehors avant que le soleil ait pu pointer le bout de son nez derrière les nuages. Eh oui, il est comme ça, Johnny Mamba. Et la police, dans son genre, elle est comme ça, elle aussi.
Extraits
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