Editeur
Genre
Histoire de France
AVANT-PROPOS
Il ne faut pas s’attendre à trouver ici un livre
classique d’inoculation. Si l’on excepte certain plan
sur lequel, à ce que je crois, on n’a point encore
travaillé, tout est épuisé sur cette matière.
L’Haridon, Avis aux dames françaises sur
l’inoculation de leurs enfants (1801)
Au siècle des Lumières, la variole est un lieu commun au sens propre : la plupart des gens y passent. Le débat sur l’inoculation est une prise de conscience des différentes voies offertes qui autorisent pour la première fois l’homme à choisir son orientation.
La médecine des Lumières dicte un nouveau rapport entre l’âme et le corps. Par la maladie, l’on prend conscience d’un physique négligé par manque d’hygiène ou par méconnaissance de la pharmacopée. L’homme peut ainsi se libérer, en partie au moins, de sa dépendance sur la machine, aller au-devant des maux, supprimer le hasard et braver la mort. Par l’inoculation, qui donne de manière préventive la petite vérole – comme on appelle alors la variole – pour en prémunir, la médecine entre dans une ère nouvelle.
Les débats professionnels aident à affranchir l’individu. L’impuissance face à la maladie lorsqu’elle se déclare est surmontée par cette variolisation préventive. Il s’agit d’une technique empirique qui s’explique mal à l’époque. L’incompréhension du mécanisme de la contagion, les débats sur la présence d’un germe inné de la variole, l’imprécision dans le diagnostic, montrent la difficulté d’arriver à des résultats scientifiques. Nous savons maintenant que la version inoculée de la petite vérole est moins dangereuse que la naturelle pour trois raisons : l’on en administre une version bénigne – comme apprivoisée – esquissant ainsi l’action pastorienne d’atténuation volontaire de la virulence des matières pathogènes ; l’inoculable, comme on dit alors, doit être en bonne santé et préparé avant de subir l’opération, il est contaminé à un moment opportun ; lorsque la maladie passe par l’inoculation sous-cutanée, sa progression est plus lente que par la voie respiratoire. Le patient a donc le temps de fabriquer des anticorps. Si le processus est identique, il faut rappeler ici la distinction essentielle entre l’inoculation et la vaccination. L’inoculation, pratiquée essentiellement au XVIIIe siècle en Occident, est l’insertion dans un corps sain de matière organique contaminée (pus, sang ou croûtes). Le patient souffre d’une variole généralement atténuée et est immunisé à vie d’une rechute. La vaccination, en revanche, est la communication d’une maladie autre, bénigne, la variole des vaches ou cowpox dont la proximité avec la petite vérole en protège pendant une durée limitée.
À la maîtrise de l’espace par la quarantaine et les interdictions de circuler, réaction habituelle aux pandémies, s’ajoute, avec l’inoculation, la maîtrise du temps : il s’agit de provoquer le mal à un moment où le corps peut le vaincre, de créer la crise pour la juguler. Le temps subi et imprévisible de la maladie s’oppose au temps provoqué et contrôlé de la petite vérole artificielle. L’on en vient à remettre en question l’idée de l’état de santé comme normal et souhaitable en toute circonstance. L’inoculation perturbe volontairement l’assiette pour mieux la fortifier. La médecine se fait préventive. Selon une expression présente dans les traités comme dans les lettres et romans, c’est un petit mal pour un grand bien.
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