Le pire des mondes

Ann Scott

Quand le monde extérieur devient insupportable, peut-on s'enfermer chez soi ? Quand le monde réel se montre trop décevant, peut-on s'en inventer un autre ? Quand on e obsédé par une star de cinéma, peut-on décider qu'elle est faite pour nous ? Entre dégoût, compassion et fantasme, peut-on survivre à la réalité ? Et à quel prix ? Dans Le meilleur des mondes, Aldous Huxley parlait futur. Le pire des mondes, lui, est bien présent.

Par Ann Scott
Chez Flammarion

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Editeur

Flammarion

Genre

Littérature française

 

 

 

 

 

 

Il était minuit quand elle se glissa enfin sur la banquette du taxi. Elle était épuisée d'avoir tourné si tard et impatiente de rentrer à l'hôtel. Son portable indiquait plusieurs appels d'un type qu'elle avait déjà oublié. Pourquoi personne ne voulait comprendre qu'elle était ravie de sa solitude ? La voiture longeait la plage de Santa Monica. L'air était chargé d'odeurs de plantes, et, par la vitre baissée, elle regardait défiler les arbres qui bordaient la promenade du front de mer. Elle se demandait comment allait se passer le prochain tournage, si l'ambiance serait moins tendue, les journalistes moins à l'affût. Elle repartait le surlendemain et n'avait toujours pas profité de la piscine de l'hôtel. Si elle était encore ouverte à cette heure, elle s'offrirait quelques longueurs avant de se faire monter à dîner. Enfin seule.

 

De l'autre côté du monde, à Paris, il était neuf heures du matin et il était coincé dans les embouteillages. Les abords de République se trouvaient paralysés par la pluie battante. Il aurait pu ne rien voir. Être trop absorbé par lui-même ou feindre de ne pas remarquer, comme tout le monde. Mais ça faisait un moment, maintenant, que ce genre de détails s'imposaient à lui. Les trois visions allaient donc le choquer. Elles le feraient comme bon nombre d'autres détails s'y employaient déjà chaque jour, puis par la force des choses, elles retomberaient doucement dans l'oubli. Jusqu'à ce que plus tard elles s'avèrent avoir déclenché tout ce qui allait suivre.

 

 

 

 

 

 

 

1

 

 

Alors qu'il était arrêté au feu juste avant la place, il vit d'abord une tache rougeâtre sous un Abribus. Sans aucun doute une flaque de vin, parsemée de ce qui avait dû être du pain, le tout d'apparence très récente puisque encore visible sous la pluie crépitante. Soit le contenu d'un estomac régurgité à même pas dix heures du matin, autour duquel une dizaine de personnes attendaient leur bus, pas du tout perturbées d'avoir quasiment les pieds dedans…

Ensuite, immobilisé au centre de la place, il vit l'énorme baudruche gonflable qui trônait sur le terre-plein. La masse, aire de jeux censée représenter les monuments de Paris, avait toujours été là dans toute son absurdité – obèse, difforme et d'un jaune criard incongru au milieu de la grisaille. Mais ce qui cette fois retint son attention, ce fut deux enfants qui s'y élançaient malgré la pluie. La réplique de l'Arc de triomphe était dotée d'un large toboggan sur le devant, et les deux petits s'efforçaient d'en grimper la pente furieusement, s'aidant aussi bien des mains que des pieds tant leurs chaussures crottées de boue patinaient. Plusieurs personnes faisaient les cent pas sur le trottoir, aussi était-il impossible de deviner laquelle les accompagnait. Mais quelle qu'elle fut, elle ne se manifesta pas quand parvenus au sommet, les petits se laissèrent glisser la tête la première, leurs visages en contact direct avec le caoutchouc du toboggan. Caoutchouc souillé par tout ce que leurs semelles avaient pu fouler, autant dire d'innombrables merdes de chiens, mais aussi de clochards…

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30/12/2003 198 pages 16,30 €
Scannez le code barre 9782080681867
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