#Polar

Le tueur des ombres

Val McDermid

Lorsque le corps de Drew Shand, écrivain à succès, est retrouvé mutilé dans le quartier historique d'Edimbourg, la police conclut à un crime crapuleux. Mais après l'assassinat brutal de Jane Elias, la reine du thriller, il faut se rendre à l'évidence : un tueur s'attaque aux stars du roman noir. Et, non content de les éliminer, il reproduit les scènes de leurs propres livres. A quand la troisième victime ? Fiona Cameron s'attend au pire. Psychologue, experte en affaires criminelles, elle vit avec un auteur de polars, Kit Martin, réputé pour la violence de ses intrigues. Or, il a reçu une lettre de menace. Et dans le roman qui l'a rendu célèbre, le meurtrier saignait ses victimes pour peindre des fresques murales...

Par Val McDermid
Chez J'ai lu

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Editeur

J'ai lu

Genre

Policiers

 

 

 

 

 

 

I

 

 

Le brouillard épais s’élève des eaux gris acier de l’estuaire du Forth, tel un mur compact de brume couleur cumulus. Il engloutit les lumières éblouissantes du tout nouveau quartier touristique, ses hôtels branchés et ses restaurants chics. Il se mêle aux fantômes des marins d’autrefois qui claquaient leur paye en pintes de bière à dix-huit shillings et en passes, avec des prostituées au visage aussi rugueux que les mains de leurs clients. Il gravit la colline qui mène au faubourg de la Ville Nouvelle, où l’élégante grille de style georgien le découpe en blocs avant qu’il ne s’engouffre dans le fossé des Princes Street Gardens. Les quelques fêtards encore dehors pressent le pas pour échapper à son emprise froide et visqueuse.

Le temps d’atteindre les rues étroites et les venelles tortueuses de la Vieille Ville, le brouillard a perdu de sa densité étouffante. Il s’est métamorphosé en spectres de brume pâle qui confèrent aux établissements attrape-touristes un aspect sinistre et inquiétant. Des affiches en partie décollées promouvant les événements du dernier Festival Fringe battent au vent, comme des revenants tapageurs. Par une telle nuit, on imagine aisément ce qui a inspiré Robert Louis Stevenson pour Dr Jekyll et Mr Hyde. L’histoire a beau se dérouler à Londres, c’est indubitablement Édimbourg qui vient à l’esprit à la lecture des pages du roman.

Derrière les façades noires de suie de la rue Royal Mile se dressent de vieux bâtiments, construits autour de cours mornes. Au XVIIIe siècle, ces immeubles étaient l’équivalent de nos cités HLM – pleins à craquer des déshérités de la ville, peuplés d’ivrognes et de drogués au laudanum, repères des plus pauvres putains et des gamins des rues. Ce soir-là, telle une reproduction démente du pire cauchemar de l’histoire, le corps d’une femme est étendu près du sommet d’un escalier qui, en partant de High Street, forme un raccourci abrupt permettant de descendre la pente de The Mound. On a remonté sa robe courte, dont les coutures de pacotille se sont déchirées sous la tension.

Si elle avait hurlé lors de son agression, l’air brumeux aurait étouffé son cri. Une seule certitude : elle ne criera plus jamais. Sa gorge n’est plus qu’un rictus écarlate béant. Pour ajouter l’insulte à la blessure, on a passé les entrelacs luisants de ses intestins pardessus son épaule gauche.

L’imprimeur qui a trébuché sur le cadavre en rentrant chez lui après une équipe du soir est recroquevillé devant l’entrée de l’impasse. Il se tient assez près de la flaque de son vomi pour que la puanteur maintenue dans l’air par le brouillard oppressant lui donne des haut-le-cœur. Il a appelé la police, mais les quelques minutes nécessaires à leur arrivée lui paraissent une éternité ; le spectacle infernal qu’il vient de voir est à jamais gravé dans son esprit.

Des lumières bleues clignotantes surgissent soudain devant lui. Des bruits d’hommes qui courent, et il n’est plus seul. Deux agents en uniforme l’aident doucement à se mettre debout. Ils l’accompagnent à leur véhicule, où ils l’installent sur la banquette arrière. Deux autres ont disparu dans l’impasse, le son feutré de leurs pas presque immédiatement absorbé par la brume visqueuse. À présent, seuls résonnent le crépitement de la radio de la police et le claquement des dents de l’imprimeur.

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trad. Eric Moreau
02/04/2014 602 pages 8,40 €
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