UNE HISTOIRE MARCHÉE
Cet apaisement qui nous vient dans l’amitié d’une montagne.
Jean GIONO
Du laSaint-Gingolphc Léman à la Méditerranée, de Saint-Gingolph à Nice, le marcheur endurant peut suivre sur plus de six cent cinquante kilomètres1 un sentier de grande randonnée nommé GR5. Ce chemin nord-sud (ou sud-nord), également appelé depuis les années 1970 « Grande Traversée des Alpes », s’est imposé auprès de milliers de marcheurs chaque année comme la voie classique par excellence de la randonnée alpine. Il parcourt plusieurs massifs, le Chablais, le Faucigny, le Haut-Giffre, le Mont-Blanc, le Beaufortain, la Vanoise, le Briançonnais, le Queyras, la Haute-Ubaye, la Haute-Tinée, la Haute-Vésubie, la Haute-Roya, l’Authion, frôle deux pays voisins, la Suisse et l’Italie, traverse deux parcs nationaux, la Vanoise, le Mercantour, et cinq départements, la Haute-Savoie, la Savoie, les Hautes-Alpes, les Alpes-de-Haute-Provence et les Alpes-Maritimes. On y affronte, en vingt-cinq à quarante jours de marche, quelque trente mille mètres de dénivelés positifs répartis en une trentaine de grands cols, soit quatre fois la hauteur de l’Everest. Cependant, à l’exception de quelques rares passages délicats, surtout en début d’été quand des névés de neige encombrent encore le sentier, ce chemin ne présente pas de difficulté majeure, bien balisé de marques peintes en rouge et blanc, pourvu de gîtes et de refuges permettant des étapes relativement confortables. Quelques guides, des descriptions, des récits, des articles, en retracent les étapes, en décrivent les paysages, en égrènent les cols, fournissant les renseignements pratiques. Le GR5 est la colonne vertébrale des sentiers des Alpes.
Ce livre reconstitue et raconte l’histoire de ce chemin. Il montre d’abord pourquoi et comment le GR5 s’est constitué en emblème de la randonnée en France depuis la fin du XIXe siècle. Il souligne également son aspect de mosaïque historique : ce sentier classique, tel qu’il a été balisé au début des années 1950, n’est finalement qu’une re-création, unifiant et réinventant des traditions marcheuses qui regardent vers un passé multiséculaire : tantôt chemin de pèlerinage, tantôt sentier commercial ou de contrebande, draille de la transhumance ovine ou voie militaire menant de citadelle vertigineuse en forteresse d’altitude. Le GR5, dans ces passages-là, n’est pas seulement un objet d’histoire, il devient un vecteur d’histoire, permettant de plonger dans les strates passées des circulations pédestres alpines. Le grand géographe de terrain qu’était Paul Vidal de La Blache, considérant les sentiers des Alpes comme les sentinelles de l’histoire du massif, leur a rendu hommage en 1902 : « Sans doute de belles routes carrossables traversent nos Alpes, mais, dans les mailles passablement espacées de ce réseau, quel rôle continuent de jouer, pour les déplacements fréquents qu’exige la vie montagnarde, ces nombreux sentiers muletiers, que ne rebute aucune pente, qui hardiment couronnent les hauteurs et parfois bordent les précipices ! Entre les villages perdus vers la limite des cultures, entre ces cultures et les pâturages voisins des cimes, ce sont eux qui assurent les communications. On y peut juger des services que rendaient les modestes chemins d’autrefois. Si grimpants et raboteux qu’ils paraissent à nos pieds de citadins, on ne peut les gravir sans éprouver quelque sentiment d’admiration pour l’industrie de ces montagnards qui, par eux-mêmes, ont su créer à leur usage ce multiple réseau2. » Ici, l’histoire suit pas à pas le chemin qui va dans la montagne.
Extraits
Commenter ce livre