Toit d’un hôtel, extérieur fin du jour
Trente-cinq mètres, douze étages émergés et je dirais deux sous-sols, bien sûr que c’est quelque chose, rapporté aux proportions de Paris. De là à parler de gratte-ciel, je ne sais pas. À mon avis, c’est simplement que vous n’avez pas l’habitude d’aller si haut. Je vous assure moi que douze étages, un velum et deux cents mètres carrés de terrasse, ce sont des choses qui se font, c’est même le tout-venant à cette échelle. Mettons que vous ayez un hôtel. Vous n’avez pas d’hôtel, nous sommes d’accord, mais imaginons. Vous avez un hôtel. Bon. Vous avez donc un peu de relations à la mairie. Un papier, un tampon, vous voilà autorisé à terrasser votre toit, pour peu qu’il soit plat. Le reste, c’est l’histoire de trois lampions, de quelques lattes en bois traité, ici ils ont pris du teck, de vous à moi, ils se sont trompés, la précipitation sans doute. C’est fragile, le teck, et ça fait salle de bains. Je vous conseillerais, pour ce que ça vaut, de partir sur un béton ciré. Alors, bien sûr, vous trouverez toujours quelqu’un pour prétendre que le béton ciré ça tache, qu’humide ça devient casse-gueule, que le béton ciré ceci, le béton ciré cela. En termes de sols, on n’a pourtant rien inventé d’aussi praticable depuis le granit. Enfin, c’est secondaire. Le vrai sujet, puisqu’on aborde sérieusement la question terrasse, ce sont les végétaux. Il s’agit d’être un minimum renseigné, de réfléchir, de voir une fois dans sa vie au-delà de la couleur du pot. Que sait-on à ce stade ? Que nous sommes dans les airs, que l’air est chargé, que notre végétal se prendra dioxyde d’azote sur monoxyde de carbone, sur que sais-je encore de dégoûtant. Voilà qui n’est pas à la portée du premier bananier venu. Le bananier parlons-en, on vous le colle à tous les balcons, c’est bien joli mais on ne lui rend pas service. Il n’est pas prévu pour la ville, le bananier, il crève. Et avant que vous me posiez la question, non. Non, le bougainvillier, le rosier grimpant, le forsythia, ce n’est pas beaucoup mieux. Une seule option à mon sens, le troène. Difficile de trouver plus facile à vivre que le troène, il n’a jamais besoin de rien, c’est presque un mystère. Il ne demande pas d’engrais, il ne demande pas qu’on lui fasse la conversation, il ne demande pas vraiment de soleil, tout juste un peu d’alcool à brûler en cas de charançons et encore. Maintenant, je ne vous oblige pas à me croire sur parole. Vous êtes libre de tenter autre chose, après tout, c’est votre terrasse. Le papyrus, c’est à la mode, par exemple. Vous pouvez tout à fait faire crever un papyrus ou deux, pour voir. Après ça vous retomberez sur du troène, je vous le signe, conclut Michel, caressant la broussaille quelconque qui se trouvait à sa portée.
Et il attendit pour en débattre que quelqu’un lui opposât un contre-argument recevable. Préférence pour le laurier, suggestion de pesticides naturels, points de vue divergents sur l’horticulture en général.
Extraits
Commenter ce livre