Par
Marie-Claire Ferriès, Maria Paola Castiglioni, Françoise Létoublon
Chez
Presses Universitaires de Grenoble
Genre
Sciences historiques
Avant-propos
Lorsque ma mère travaillait à son bureau, elle était tellement concentrée que je n'osais pas la déranger. Il m'arrivait de m'adosser à l'encadrement de la porte et de l'observer pendant de longues minutes ; elle lisait des livres sérieux, prenait sérieusement des notes, écrivait des articles à propos de choses sérieuses. C'était ma maman-prof.
Quand elle se rendait compte que j'étais là, elle me souriait, devenait ma maman-tout-court et m'invitait à entrer. Son bureau était pour moi un puits de connaissances, un sanctuaire dont elle était la prêtresse. Qu'il s'agisse de littérature, d'histoire, ou de physique, j'avais toujours une réponse à mes questions. Souvent, pour étayer son argumentation, elle me montrait un passage ou une image tirés d'un livre.
Nous passions nos mercredis ensemble. Si je m'ennuyais, j'allais dans son bureau et lisais ce qui me tombait sous la main, ou ce qu'elle me proposait : des copies, des livres (L'Odyssée, les résultats de fouilles de Schliemann en Asie Mineure, etc.) ou des articles. C'est ainsi que je découvris « Le sacrifice d'Iphigénie », un texte tiré d'Iphigénie en Tauride ou d'Iphigénie à Aulis qu'elle allait donner à ses élèves. Sans avoir eu de cours d'anglais, je lus partiellement en anglais un livre sur Artémis. À cinq ans, ma mère m'apprit à compter en Grec ancien ; en 6e, je savais qui était Homère, et surtout qui il n'était pas ; de même je savais que l'architecture grecque ne possédait pas trois, mais deux ordres distincts : ionique et dorique. Tels étaient mes mercredis.
La première fois que nous sommes allés tous les quatre en Grèce, notre premier arrêt fut Olympie. Là-bas, comme à chaque occasion, j'eus droit, étant curieuse et attentive, à de longs exposés passionnants, ponctués d'anecdotes sur les dieux et les hommes. Ma mère avait le don de faire revivre les ruines par ses récits détaillés et vivants. Mon imagination faisait le reste. Ainsi sous mes yeux les Grecs marchaient et discutaient, suivaient des processions ; des athlètes s'entraînaient ; des enfants accompagnés de leur précepteur allaient au gymnase.
Quand on me demandait ce que faisait ma mère (le terme d'histoire ancienne étant trop vague à mon goût), je répondais qu'elle travaillait sur Homère, les trépieds d'époque géométrique (très important le « d'époque géométrique » ; je ne savais alors pas précisément quand se situait cette période, mais ce n'était pas grave), et aussi sur Argos. Avec fierté, j'annonçais qu'il y avait peu d'experts sur Homère dans le monde, et que ma mère en faisait partie.
Professeur et chercheuse assidue, ma mère, à la seconde tentative avait été acceptée à L'IUF en tant que membre junior. Lorsqu'elle avait lu l'e-mail qui lui annonçait la nouvelle, elle avait été surexcitée pendant plusieurs jours comme une gamine. L'événement avait été fêté avec les « filles » et accompagné de champagne.
Extraits
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