#Essais

Forgerons, élites et voyageurs. D'Homère à nos jours

Marie-Claire Ferriès, Maria Paola Castiglioni, Françoise Létoublon

L’Iliade et l’Odyssée résonnent du fracas du bronze, du cliquetis de l’or, du tintement de l’argent : sur le bouclier d’Achille, l’armure d’Agamemnon, dans le palais de Phéaciens et la demeure des dieux, le métal précieux est partout chez les puissants. Témoin de l’histoire, parvenu jusqu’à nous sans dégradation majeure, le métal raconte les histoires de ceux qui l’ont possédé : les élites, puissantes, guerrières ou marchandes, souvent vecteurs d’évolution, de nouveauté, d’ouverture. Sur la base des travaux d’Isabelle Ratinaud-Lachkar, dont la recherche s’exerçait sur les technologies, les usages et les routes commerciales des métaux dans le monde grec de l’époque géométrique, vingt-trois chercheurs ont croisé leurs spécialités et leurs périodes pour développer cette approche historique originale autour de quatre thèmes de recherche : la place sociologique des métaux (symbolique, travail, objets), les stratégies des élites, le développement des villes, les voyages et les échanges culturels. À travers les âges, l’avancée technologique ou l’intensification des échanges ont toujours été le ferment de changements, voire de révolutions. Cet ouvrage examine ces thèmes dans toutes les époques de l’histoire et, en dépit des différences chronologiques, techniques et intellectuelles, explique comment, dans d’autres sociétés, à d’autres périodes, les mêmes mécanismes ont conduit aux mêmes évolutions. Ainsi, l’ouvrage propose-t-il des pistes ou des mises au point sur des questions débattues à l’heure actuelle, comme les stratégies de distinction des élites, l’autoreprésentation des sociétés urbaines, ou le métissage culturel à travers les âges.

Par Marie-Claire Ferriès, Maria Paola Castiglioni, Françoise Létoublon
Chez Presses Universitaires de Grenoble

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Genre

Sciences historiques

 

 

 

 

 

 

Avant-propos

 

 

Lorsque ma mère travaillait à son bureau, elle était tellement concentrée que je n'osais pas la déranger. Il m'arrivait de m'adosser à l'encadrement de la porte et de l'observer pendant de longues minutes ; elle lisait des livres sérieux, prenait sérieusement des notes, écrivait des articles à propos de choses sérieuses. C'était ma maman-prof.

 

Quand elle se rendait compte que j'étais là, elle me souriait, devenait ma maman-tout-court et m'invitait à entrer. Son bureau était pour moi un puits de connaissances, un sanctuaire dont elle était la prêtresse. Qu'il s'agisse de littérature, d'histoire, ou de physique, j'avais toujours une réponse à mes questions. Souvent, pour étayer son argumentation, elle me montrait un passage ou une image tirés d'un livre.

Nous passions nos mercredis ensemble. Si je m'ennuyais, j'allais dans son bureau et lisais ce qui me tombait sous la main, ou ce qu'elle me proposait : des copies, des livres (L'Odyssée, les résultats de fouilles de Schliemann en Asie Mineure, etc.) ou des articles. C'est ainsi que je découvris « Le sacrifice d'Iphigénie », un texte tiré d'Iphigénie en Tauride ou d'Iphigénie à Aulis qu'elle allait donner à ses élèves. Sans avoir eu de cours d'anglais, je lus partiellement en anglais un livre sur Artémis. À cinq ans, ma mère m'apprit à compter en Grec ancien ; en 6e, je savais qui était Homère, et surtout qui il n'était pas ; de même je savais que l'architecture grecque ne possédait pas trois, mais deux ordres distincts : ionique et dorique. Tels étaient mes mercredis.

La première fois que nous sommes allés tous les quatre en Grèce, notre premier arrêt fut Olympie. Là-bas, comme à chaque occasion, j'eus droit, étant curieuse et attentive, à de longs exposés passionnants, ponctués d'anecdotes sur les dieux et les hommes. Ma mère avait le don de faire revivre les ruines par ses récits détaillés et vivants. Mon imagination faisait le reste. Ainsi sous mes yeux les Grecs marchaient et discutaient, suivaient des processions ; des athlètes s'entraînaient ; des enfants accompagnés de leur précepteur allaient au gymnase.

Quand on me demandait ce que faisait ma mère (le terme d'histoire ancienne étant trop vague à mon goût), je répondais qu'elle travaillait sur Homère, les trépieds d'époque géométrique (très important le « d'époque géométrique » ; je ne savais alors pas précisément quand se situait cette période, mais ce n'était pas grave), et aussi sur Argos. Avec fierté, j'annonçais qu'il y avait peu d'experts sur Homère dans le monde, et que ma mère en faisait partie.

Professeur et chercheuse assidue, ma mère, à la seconde tentative avait été acceptée à L'IUF en tant que membre junior. Lorsqu'elle avait lu l'e-mail qui lui annonçait la nouvelle, elle avait été surexcitée pendant plusieurs jours comme une gamine. L'événement avait été fêté avec les « filles » et accompagné de champagne.

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31/10/2013 552 pages 37,70 €
Scannez le code barre 9782706117916
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