#Essais

Correspondance. 1952-1983

René Char, Raul Gustavo Aguirre

"Même si "vingt ans et la mer" les séparent, Raul Gustavo Aguirre, né en 1927, et René Char, né en 1907, ont entretenu une correspondance durant plus de trente ans. La publication de ces lettres inédites révèle les liens qui ont étroitement uni ces deux poètes. Raul Gustavo Aguirre, poète argentin, crée au printemps 1950 la revue Poesia Buenos Aires. La revue aura trente numéros et publiera trente-trois livres en dix ans. Elle est l'expression d'un mouvement avant-gardiste, proclamant sa liberté de parole et le refus de toute école. C'est en 1952 qu'Aguirre écrit, en français, sa première lettre à Char pour lui exprimer toute son admiration : "Depuis longtemps je me suis penché sur vos poèmes et j'y reviens continuellement. J'ai fini par ne croire qu'en vous". Un an plus tard, Aguirre traduit et publie une anthologie des poèmes parus de Char dans un numéro spécial de la revue. A cette main tendue, Char offre sa reconnaissance, son admiration et son amitié. Au fil des années d'échange, le dialogue s'intensifie. La correspondance s'enrichit d'envois réciproques, de poèmes et de traductions, de l'évocation aussi des épreuves traversées : pour l'un, la maladie, pour l'autre, l'oppression sous les différentes dictatures en Argentine. Face à cela : l'éternelle fulgurance de la poésie. Char, ému et fraternel, offre d'emblée son hospitalité à Aguirre et le convie chez lui. Cette rencontre, si attendue de part et d'autre, aura lieu en mai 1974 aux Busclats, dans la maison de Char à L'Isle-sur-la-Sorgue. Elle témoigne de la fraternité née entre les deux hommes, interrompue par la mort d'Aguirre en janvier 1983".

Par René Char, Raul Gustavo Aguirre
Chez Editions Gallimard

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Genre

Critique littéraire

 

 

 

 

 

 

 

CORRESPONDANCE

 

 

 

 

 

1. — RAÚL GUSTAVO AGUIRRE À RENÉ CHAR1

 

 

 

 

6 octobre 1952

 

René Char,

C’est la jeunesse, oui. Même dans un pays étouffé2.

Nous avons besoin de l’action poétique (hors nous, à l’intérieur de nous).

Nous publions Poesía Buenos Aires dont le dernier numéro je vous ajoute. Nous voulons vous dédier le numéro d’automne 1953 (des poèmes traduits à l’espagnol, le chapitre « L’homme », d’après Mounin, des extraits de votre entretien avec P[ierre] Berger, des scènes de Claire et du Soleil des eaux3). Je regrette de n’avoir pas La Part du feu4 de M[aurice] Blanchot, aussi que les premiers vers de vos livres.

Depuis longtemps je suis penché sur vos poèmes et j’y reviens continuellement. J’ai fini pour ne croire qu’à vous. Comment faire, René Char, pour vous dire la solitude dont je me trouve soyant votre compagnon ?

Je vous prie d’excuser ce français barbare. Lisez-vous l’espagnol ?

Je demeure à l’espoir de votre consentiment,

Mes fraternelles salutations.

 

Raúl G. Aguirre

 

 

Raúl Gustavo Aguirre

Corrientes 745.

Buenos Aires (R. 31)

Argentina

 

 

 

1. Lettre dactylographiée, écrite en français.

2. En février 1946, Juan Perón est élu président de l’Argentine. Avec sa femme Eva, de nombreuses réformes sociales sont entreprises ; mais les intellectuels sont persécutés et l’Université garrotée. En septembre 1955, « la révolution libératrice » mettra fin à la dictature de Juan Perón en l’obligeant à démissionner.

3. René Char, Claire. Théâtre de verdure, Gallimard, juillet 1949 ; Le Soleil des eaux. Spectacle pour une toile de pêcheurs, Gallimard, avril 1951.

4. Maurice Blanchot, La Part du feu, Gallimard, juin 1949.

 

 

 

 

 

2. — RAÚL GUSTAVO AGUIRRE À RENÉ CHAR1

 

 

18 novembre 1952

 

Elles sont arrivées, ces nourritures heureuses2.

Maintenant, j’entreprends un travail simple et pur dont les aboutissements vous arriveront avril et juillet 1953.

Je salue votre présence sur la terre, bonté fluviale, confirmation de l’homme.

 

Raúl G. Aguirre

 

 

1. Lettre dactylographiée écrite en français.

2. René Char envoie ses poèmes à Raúl Gustavo Aguirre.

 

 

 

 

 

 

3. — RAÚL GUSTAVO AGUIRRE À RENÉ CHAR1

 

 

René Char

Isle-sur-Sorgue

Vaucluse

France

 

Buenos Aires, 1er juin 1953

 

Cher ami,

Veuillez, s’il vous plaît, m’excuser de vous écrire dans ma langue. Communiquer est difficile et plus encore à travers une langue, que je connais certes bien, mais dans laquelle je ne pourrais m’exprimer sans cette âpreté de qui n’a pas grandi en elle.

Comment vous dire combien je vous comprends et combien je vous admire ? Je sais que cela ne serait pas inutile, car celui qui, comme vous, a atteint cette part indicible de la conscience, doit être accablé par une reconnaissance superficielle, par l’éloge qui n’engage pas et par cette effrayante adoration de ceux qui ne voient dans la poésie qu’une infinie habileté verbale.

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trad. Michèle Gazier
20/03/2014 96 pages 12,90 €
Scannez le code barre 9782070145027
9782070145027
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