#Polar

Dernier verre à Manhattan

Don Winslow

New York, Noël 1958. Walter Withers a donné lorsqu’il était basé en Suède ses plus belles années à la CIA. Rentré dans sa ville natale pour vivre près de l’envoûtante chanteuse de jazz Anne Blanchard, il est devenu détective privé. A l’occasion d’un cocktail donné au Plazza par le sénateur Joe Kenneally et son épouse Madeleine, on l'engage comme garde du corps de la maîtresse de celui-ci. La mission de Withers va consister dans les heures qui suivent à servir de couverture aux activités extra conjugales du sénateur, très probable candidat des Démocrates à la prochaine présidentielle. Jusqu'au petit matin où la blonde maîtresse suédoise est retrouvée victime d’une overdose dans sa chambre d’hôtel, réservée au nom de Withers par Jimmy, le frère du sénateur... Pour se sortir de ce guêpier, la mort de la jeune femme n'est pas si accidentelle qu'il y paraît, Withers retrouve le savoir-faire de ses années CIA et met au jour un traquenard à multiples entrées dont J. Edgar Hoover, patron du FBI, est l'un des acteurs menaçants.

Par Don Winslow
Chez Seuil

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Editeur

Seuil

Genre

Policiers

 

 

 

 

 

 

Prologue

 

Dear Old Stockholm1

 

 

Walter Withers n’était pas malheureux à la CIA. Mais New York lui manquait.

Ou plus exactement, ainsi qu’il l’avait dit un jour à Morrison, son futur ex-collègue chez ScandAmerican Import/Export :

– Ce n’est pas que j’aime moins l’Agence, mais j’aime Manhattan davantage.

Il ne s’était pas imaginé une seule seconde que Morrison saisirait cette référence à Shakespeare et en apprécierait la symétrie, mais, après tout, l’effet comique d’une phrase joliment tournée tient moins à la réaction qu’elle suscite qu’à la façon dont on la prononce.

Mais Morrison, Walter avait eu tout le loisir de s’en rendre compte depuis trois ans qu’ils travaillaient ensemble, n’avait rien d’un rigolo. Les lois de la pesanteur semblaient, d’une semaine sur l’autre, attirer son visage déjà long toujours plus vers le bas. Morrison donnait l’impression à Walter d’avoir absorbé la grisaille des hivers suédois jusque dans le tréfonds de son âme. Certes, il courait après les femmes scandinaves aux jambes de gazelle avec tout autant de vigueur que le premier venu, mais il se dégageait de ses poursuites une sorte de pessimisme foncier.

Ce n’était pourtant pas faute d’attirer des filles dans son lit. En réalité, ses draps avaient à peine le temps de refroidir. Non, le problème, c’était que tout en guidant la belle jusqu’à sa cambuse au premier étage sous le prétexte limpide de lui faire écouter sa collection d’albums de jazz américain, il commençait déjà à se faire du mouron. Dans ses extrapolations les plus noires, il voyait la demoiselle partir en taxi juste avant l’aube, ou assise dans la salle d’attente de sa gynécologue, ou – comble de l’horreur fantasmagorique – en train de détailler par le menu ses pratiques érotiques lors de son debriefing auprès de l’officier soviétique chargé de l’affaire, lequel, dans son imagination, était un type adipeux, laid comme un crapaud, fumant à la chaîne de puantes cigarettes russes bon marché et écoutant avec un sourire en coin le triste récit de ses inaptitudes sexuelles.

Cette dernière image très vivace se muait en une prophétie qui s’accomplissait plus ou moins d’elle-même.

– C’est encore plus efficace que les statistiques des moyennes à la batte, lui avait sorti Walter quand, lors d’une soirée bien arrosée, Morrison lui avait confié sa problématique.

– Que veux-tu dire ?

– Ben… avait bafouillé Walter en cherchant ses mots, il y a des types – du moins, à ce qu’on m’a dit – qui pensent aux statistiques des moyennes à la batte pour essayer de retarder… l’inéluctable. Toi, ton… régulateur… c’est un agent du KGB imaginaire, voilà tout.

– Voilà tout ? avait gémi Morrison en posant la tête sur la table, avant de fermer les yeux et de murmurer : Et ce n’est pas un régulateur. C’est le parfait tue-l’amour.

– Dans ce cas, c’est seulement que tu te poses trop de questions.

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trad. Philippe Loubat-Delranc
03/10/2013 374 pages 21,00 €
Scannez le code barre 9782021084214
9782021084214
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