#Essais

Dialogues de Monsieur le baron de Lahontan et d'un Sauvage dans l'Amérique

Louis-Armand de Lahontan

Satiriques et polémiques, les Dialogues de Lahontan annoncent avec vigueur les grands débats philosophiques des Lumières. Religion, politique, justice, mours : rien n'échappe à la critique de Lahontan. Le contraste entre le Sauvage et l'Européen met en cruelle évidence les vices de la civilisation. Le « Mais comment peut-on être Huron ? » que l'explorateur français est tenté de s'écrier suscite finalement l' interrogation : « Mais comment peut-on être Européen ? » Après Lahontan, le Vieux Continent ne cessera plus de se poser la question.

Par Louis-Armand de Lahontan
Chez Les Editions Desjonquères

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Récits de voyage

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[DE LA RELIGION.]

 

 

Lahontan. – C’est avec beaucoup de plaisir, mon cher Adario, que je veux raisonner avec toi de la plus importante affaire qui soit au monde, puisqu’il s’agit de te découvrir les grandes vérités du christianisme.

Adario. – Je suis prêt à t’écouter, mon cher frère, afin de m’éclaircir de tant de choses que les Jésuites nous prêchent depuis longtemps, et je veux que nous parlions ensemble avec autant de liberté que faire se pourra. Si ta créance est semblable à celle que les Jésuites nous prêchent, il est inutile que nous entrions en conversation, car ils m’ont débité tant de fables que tout ce que je puis croire, c’est qu’ils ont trop d’esprit pour les croire eux-mêmes.

Lahontan. – Je ne sais pas ce qu’ils t’ont dit, mais je crois que leurs paroles et les miennes se rapporteront fort bien les unes aux autres. La religion chrétienne est celle que les hommes doivent professer pour aller au ciel. Dieu a permis qu’on découvrît l’Amérique, voulant sauver tous les peuples qui suivront les lois du christianisme ; il a voulu que l’Évangile fût prêché à ta nation, afin de lui montrer le véritable chemin du paradis, qui est l’heureux séjour des bonnes âmes. Il est dommage que tu ne veuilles pas profiter des grâces et des talents que Dieu t’a donnés. La vie est courte, nous sommes incertains de l’heure de notre mort ; le temps est cher ; éclaircis-toi donc des grandes vérités du christianisme, afin de l’embrasser au plus vite en regrettant les jours que tu as passés dans l’ignorance, sans culte, sans religion, et sans la connaissance du vrai Dieu.

Adario. – Comment sans connaissance du vrai Dieu ! Est-ce que tu rêves ? Quoi ! tu nous crois sans religion après avoir demeuré tant de temps avec nous ? 1. Ne sais-tu pas que nous reconnaissons un créateur de l’univers, sous le nom du grand Esprit, ou du Maître de la Vie, que nous croyons être dans tout ce qui n’a point de bornes. 2. Que nous confessons l’immortalité de l’âme. 3. Que le grand Esprit nous a pourvus d’une raison capable de discerner le bien d’avec le mal comme le ciel d’avec la terre, afin que nous suivions exactement les véritables règles de la justice et de la sagesse. 4. Que la tranquillité d’âme plaît au grand Maître de la vie ; qu’au contraire le trouble de l’esprit lui est en horreur, parce que les hommes en deviennent méchants. 5. Que la vie est un songe et la mort un réveil, après lequel l’âme voit et connaît la nature et la qualité des choses visibles et invisibles. 6. Que la portée de notre esprit ne pouvant s’étendre un pouce au-dessus de la superficie de la terre, nous ne devons pas le gâter et le corrompre en essayant de pénétrer les choses invisibles et improbables. Voilà, mon cher frère, quelle est notre créance, et ce que nous suivons exactement. Nous croyons aussi d’aller dans le pays des âmes après notre mort ; mais nous ne soupçonnons pas, comme vous, qu’il faut nécessairement qu’il y ait des séjours et bons et mauvais après la vie, pour les bonnes ou mauvaises âmes, puisque nous ne savons pas si ce que nous croyons être un mal selon les hommes, l’est aussi selon Dieu ; si votre religion est différente de la nôtre, cela ne veut pas dire que nous n’en ayons point du tout. Tu sais que j’ai été en France, à la Nouvelle-York et à Québec, où j’ai étudié les mœurs et la doctrine des Anglais et des Français. Les Jésuites disent que parmi cinq ou six cents sortes de religions qui sont sur la terre, il n’y en a qu’une seule bonne et véritable, qui est la leur, et sans laquelle nul homme n’échappera d’un feu qui brûlera son âme durant toute l’éternité ; et cependant ils n’en sauraient donner de preuves.

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Lamarineterrestre.

12/01/2022 à 18:30

Oeuvre extremement actuelle.
Fera partie de ma leçon sur les lumières et anti-lumières.

13/06/2007 124 pages 15,20 €
Scannez le code barre 9782843210969
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