#Essais

Dis-moi qui te cite, et je saurai ce que tu vaux. Que mesure vraiment la bibliométrie ?

Pascal Pansu, Nicole Dubois, Jean-Léon Beauvois

Comme tous les travailleurs, les chercheurs ne peuvent échapper à l'évaluation. Celle-ci ne peut être conduite par eux-mêmes. De nombreuses questions se posent: qui doit les évaluer ? A quel rythme ? Et surtout, sur quelles bases ? Sur leur réputation, leurs interventions, leur implication dans la discipline, leur présence dans la littérature scientifique ? Mais alors quelle littérature ? Comment apprécier cette présence ? Par le nombre de textes publiés ? La diversité des revues ? Par l'écho qu'ont les textes dans la littérature ? La bibliométrie tend aujourd'hui à saturer l'évaluation. Elle est une réponse à quelques-unes de ces questions. Elle propose une forme d'évaluation comptable qu'on voudrait objective mais qui comporte de nombreuses limites et ambiguïtés. Ce livre présente quelques outils bibliométriques comme les fameux "facteur d'impact" et "h-index" et, à travers une analyse des pratiques mises en oeuvre, montre que l'objectivité n'est pas au rendez-vous et que la littérature sollicitée n'est pas vraiment internationale. Il décrit comment la bibliométrie peut devenir un outil de globalisation scientifique et culturelle.

Par Pascal Pansu, Nicole Dubois, Jean-Léon Beauvois
Chez Presses Universitaires de Grenoble

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Genre

Psychologie, psychanalyse

 

 

 

 

 

INTRODUCTION

 

L'évaluation des chercheurs par la bibliométrie

 

 

Il fut un temps où la recherche scientifique était le fait d'individus érudits, passionnés, riches ou soutenus par des mécènes, et souvent venus de la philosophie. Ce temps n'est plus. Depuis la professionnalisation de la recherche au XIXe et, surtout, au XXe siècle, les chercheurs sont formés de façon plus ou moins spécialisée aux pratiques de recherche d'une discipline ou d'un ensemble de disciplines. Ils doivent apprendre à réaliser un rapport scientifique aux objets de connaissance. Ce rapport n'a rien d'évident, d'une part, parce qu'il s'ancre dans des démarches scientifiques qui se détachent de l'impressionnisme arbitraire qui peut prévaloir dans des rapports sociaux ordinaires et, d'autre part, parce qu'il implique une épistémologie qui n'est pas l'épistémologie de l'homme de la rue. Cette différence tient au fait que les rapports ordinaires que les gens ont avec les autres, les objets et les institutions n'ont pas pour objectif leur connaissance scientifique mais la connaissance de leur valeur sociale. Aussi, lorsque leur formation à la recherche scientifique est acquise, les jeunes chercheurs doivent trouver un emploi dans lequel ils seront salariés. Et en recherche, comme dans les autres secteurs, chercher un emploi se réalise aujourd'hui dans un contexte concurrentiel, les chercheurs étant des agents sociaux formés dans un État, une société, et employés, après sélection, dans des organisations pour réaliser un travail au bénéfice, non de l'humanité (on aimerait le croire !), mais de l'organisation qui les emploie. Ce travail est sans ambiguïté la production de connaissances scientifiques. Comme tous les agents sociaux travaillant dans et pour une organisation, les chercheurs n'échappent pas à l'évaluation et doivent être évalués par d'autres qu'eux-mêmes. Cette évaluation ne va pourtant pas sans poser quelques problèmes qui relèvent, au moins, de trois questionnements : qui doit évaluer ? À quel rythme ? Et sur quelles bases ?

Pour ce qui est de la première question, on peut se demander par qui les laboratoires de recherche et les chercheurs qui les composent doivent être évalués. Des pairs de l'organisation dans laquelle ils travaillent, des pairs de leur discipline, un supérieur comme le voudrait le principe hiérarchique qui prévaut dans la plupart des organisations – par exemple, un directeur de laboratoire, un directeur de département, un directeur d'Unité de formation et de recherche (UFR), un président d'université, etc. ? Ou encore des pairs appartenant à une instance supérieure de l'organisation dans laquelle ils travaillent (comme par exemple le conseil scientifique de leur université), un comité national relevant de la recherche (CNU1), un comité international ad hoc ou encore une agence (AERES2) qu'on voudrait tenir pour affranchie de ces instances mais qui fait partie de l'administration de la recherche scientifique ? Concernant la deuxième question, on peut se demander à quel rythme les chercheurs doivent être évalués. Ponctuellement, par exemple, lorsqu'ils sollicitent une promotion ou une mutation, lorsqu'ils veulent s'impliquer dans un projet particulier pour lequel il faut obtenir un financement, ou bien encore à la fin d'un contrat particulier liant leur organisme à l'État ? Régulièrement, tous les ans, tous les deux ans, tous les quatre ans ou plus ? En particulier dans ce dernier cas, le temps de l'évaluation est-il synchronisé avec le temps nécessaire à la production scientifique ? Quant à la troisième question, on peut se demander sur quelles bases les chercheurs doivent être évalués. Sur leur réputation, le nombre de leurs conférences invitées, leur présence dans la littérature scientifique, etc. ? Mais alors quelle littérature ? Celle publiée dans leur langue, en langue anglaise ou dans d'autres langues ? Comment apprécier cette présence ? Par le nombre de textes publiés et/ou cités, la diversité des revues scientifiques les ayant publiés ou encore par l'écho qu'ils ont dans ces littératures ? Et avec ces trois questions, nous sommes encore loin d'avoir fait le tour de tous les problèmes. Nous avons en particulier négligé le cas de quelques rares collègues qui avancent, ce qui nous paraît une position intenable, que le travail de recherche, purement intellectuel, dont la valeur peut n'apparaître qu'à long terme, ne peut et ne doit pas être évalué, même par les pairs.

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21/03/2013 127 pages 15,20 €
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