Avant-propos
L’histoire de la mémoire constitue désormais un champ particulièrement dynamique de la recherche. Marquée en ce qui concerne la Seconde Guerre mondiale par des travaux pionniers1, elle a acquis droit de cité et connaît jour après jour de nouveaux développements, en France comme à l’étranger. Mais si les travaux abondent, les synthèses restent rares et l’honnête homme soucieux de s’informer peut éprouver de grandes difficultés à se frayer un chemin dans le maquis d’une production aussi touffue. Cet ouvrage entend précisément combler cette lacune en présentant une histoire politique de la mémoire française des années sombres.
Il répond au départ à une commande de la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA) du ministère de la Défense. Soucieux de dépasser les frontières de l’Hexagone, la rue de Bellechasse souhaitait – peut-être pour s’en inspirer – analyser des exemples étrangers, ce qui l’a amenée à lancer un appel d’offres qu’une équipe de quinze chercheurs, conduite par Antoine Prost et moi-même, avons remporté. M’étant plus spécialement chargé de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale, j’ai incidemment évoqué ce projet auprès de Thierry Pech, alors directeur général du Seuil, qui, saisissant la balle au bond, m’a suggéré d’approfondir le propos – suggestion que j’ai acceptée avec plaisir.
Cette recherche privilégie donc l’examen des politiques publiques menées depuis la Libération. Elle entend scruter les débats, controverses et polémiques qu’elles ont pu susciter, mais n’aborde qu’à la marge l’histoire sociale ou culturelle de cette mémoire. Non que ces préoccupations soient illégitimes ou d’un intérêt secondaire. Des œuvres littéraires ou artistiques ont contribué à modeler les contours du souvenir ; les représentations jouent un rôle majeur dans les configurations mémorielles ; et l’on sait qu’une large part de la mémoire transite par les canaux individuels ou familiaux, créant une circulation qui, quoique souterraine, joue un rôle déterminant. Tel pourtant n’est pas l’objet de ce livre qui entend principalement définir la pesée des années sombres dans le débat politique en envisageant la place respective que prirent l’État, les partis ou les associations à leur récit.
Note
1. L’on songe entre autres aux ouvrages de Sylvie Lindeperg sur les représentations cinématographiques de la Seconde Guerre mondiale, d’Henry Rousso sur la mémoire de Vichy, et d’Annette Wieviorka sur le souvenir de la Shoah. Cf. la bibliographie placée en fin de cet ouvrage.
Ouverture
« Il est bon qu’une nation soit assez forte de tradition et d’honneur pour trouver le courage de dénoncer ses propres erreurs. Mais elle ne doit pas oublier les raisons qu’elle peut avoir encore de s’estimer elle-même. » Formulé au moment de la guerre d’Algérie, ce constat de Camus s’applique avec une singulière acuité à la mémoire de la Seconde Guerre mondiale. Revisitant les drames que la France subit durant les années sombres, l’observateur honnête ne peut que s’affliger et condamner un pouvoir vichyste sans scrupules. Imposant un régime autoritaire, collaborant avec le IIIe Reich, livrant les réfugiés politiques allemands, les juifs, les résistants et les opposants à la puissance occupante, accueillant au son du canon les Alliés venus libérer l’Afrique du Nord, l’État français du maréchal Pétain, circonstance aggravante, trouva pour accomplir ses basses œuvres les concours nécessaires tant auprès de la société qu’auprès de l’administration françaises. Dans le même temps, toutefois, une fraction du pays refusait les choix que dictait un prétendu réalisme. Poursuivant le combat en répondant à l’appel lancé le 18 juin 1940 par Charles de Gaulle, développant en métropole une résistance qui au fil du temps gagna en épaisseur, la sanior pars de la population, dans l’obscurité, contribua à sauver 75 % des juifs de France, refusa dans sa masse le Service du travail obligatoire (STO) et opposa bien souvent à la morgue de l’occupant le silence de la mer.
Extraits
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