¡ Que te sirva de vela !
envoi
[…] rien ne saurait se dire « sérieusement »
(soit pour former de série limite)
qu’à prendre sens de l’ordre comique.
Jacques Lacan, « l’étourdit »,
Scilicet 4, Paris, Seuil, 1973, p. 44.
Les poètes, cette fois encore, auront précédé.
Que soit porté le deuil à son statut d’acte. La psychanalyse tend à réduire le deuil à un travail ; mais il y a un abîme entre travail et subjectivation d’une perte. L’acte, lui, est susceptible d’effectuer dans le sujet une perte sans compensation aucune, une perte sèche. Depuis la Première Guerre mondiale1, la mort n’attend pas moins. L’on ne vocifère plus ensemble contre elle ; elle ne donne plus son lieu à la sublime et romantique rencontre des amants par elle transfigurés. Certes. Reste que, dans l’absence de rite à son endroit, son actuelle sauvagerie a pour contrepartie que la mort pousse le deuil à l’acte. A mort sèche, perte sèche. Seule désormais une telle perte sèche, seul un tel acte, parvient à laisser le mort, la morte, à sa mort, à la mort.
Kenzaburô Ôe2 caractérise cet acte (qui peut bien, en effet, réclamer un certain travail) comme « gracieux sacrifice de deuil ». L’endeuillé y effectue sa perte en la supplémentant de ce que nous appellerons un « petit bout de soi » ; voici, à proprement parler, l’objet de ce sacrifice de deuil, ce petit bout ni de toi ni de moi, de soi ; et donc : et de toi et de moi, mais en tant que toi et moi restent, en soi, non distingués.
Érotisé (l’on ne voit pas, sinon, de quoi il y aurait perte pure), ce petit bout de soi appelle une « érotique du deuil ». Sur cette mise, sur cet enjeu phallique (« le petit »), la notion de « travail de deuil » déployait un voile non pas pudique mais obscurantiste. Jetez ce voile (un autre geste que le lever), la pudeur n’y perdra rien. Quiconque ne trouvera pas de bon ton de voir ainsi affleurer la fonction du phallus au cœur même de l’épouvantable souffrance du deuil pourra bien abandonner ici même ce livre…
« My heart is in the coffin there with Caesar », proclame publiquement l’Antoine de Shakespeare3. La version du deuil ici proposée se tient entre deux lectures possibles de cette phrase. Lecture un : « Je souffre que mon cœur soit dans cette bière, il n’est pas à sa place pour m’avoir été par la mort arraché », voici l’endeuillé ; lecture deux : « Eh bien oui, il y est, et je l’abandonne en cette place qui, j’en conviens maintenant, est bien la sienne », voici le gracieux sacrifice de deuil, voici la fin du deuil. Car un deuil, comme une psychanalyse, par essence, a une fin. Le mystique pousse jusqu’à son terme extrême le passage à l’acte de ce même vœu d’abandon ; ce n’est pas seulement l’objet volé qui serait cédé, mais le vol lui-même, l’acte auquel le deuil répond, acte pour acte. Ainsi Jean de la Croix4 :
Pourquoi, puisque tu as blessé
Extraits
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