#Essais

Enfances. Pratiques, croyances et inventions

Michèle Coquet, Claude Macherel

Des enfances sont au foyer de ce livre : toutes faites d'expériences inaugurales et de rapports humains fondateurs, vécus et intégrés par chacun, entre dépendance nécessaire et autonomie croissante au fil des jours et des ans. Ce "petit monde dans le grand" (Walter Benjamin) a retenu l'attention des écrivains, des poètes, des artistes. Mais les cultures et les sociabilités juvéniles sont encore, étrangement, des terres largement inconnues. Les huit anthropologues réunis ici explorent ces friches de la connaissance, à partir de recherches effectuées en Europe, en Afrique, en Amérique du Nord et en Asie. Quelles cultures des enfants produisent-ils, tandis qu'ils s'humanisent au sein des leurs et entre eux, avant d'intégrer l'âge adulte ? Leurs activités peuvent-elles féconder en retour leurs milieux d'appartenance : familles, quartiers, ethnies, cités, nations ? Fondé sur des ethnographies directes ou des récits de première main, Enfances révèle que des groupes humains très divers, articulent efficacement au bien commun le caractère transitoire de l'âge d'enfance, son anomie relative, la gratuité, l'intensité et l'inventivité des actions juvéniles, comparées aux régulations plus rigides, aux vastes enjeux, aux marches mieux assurées et aux routines indispensables qui pérennisent l'existence collective en entier.

Par Michèle Coquet, Claude Macherel
Chez CNRS

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Editeur

CNRS

Genre

Ethnologie

 

 

 

 

 

 

 

 

Introduction

 

Michèle Coquet

 

 

L’enfance, temps et lieu des expériences premières et des relations nouvelles, changeantes, toutes entières conjuguées au présent, où l’univers des choses s’offre librement à la transformation et à l’imagination, est l’objet de ce livre. Si ce « petit monde dans le grand », comme le nommait Walter Benjamin, d’où nous sommes tous issus, a retenu l’attention des écrivains, des poètes ou des artistes, il a moins inspiré les anthropologues : l’anthropologie des cultures enfantines demeure encore, à bien des égards, une friche, dont les auteurs, à partir de matériaux recueillis en Europe, en Afrique et en Asie, proposent d’explorer quelques parcelles.

Précisons brièvement certains points d’histoire1. L’intérêt pour les cultures enfantines naît au XIXe siècle dans le sillage d’une première ethnographie des sociétés rurales, qu’accompagnent la collecte puis l’édition de leur littérature orale, dans des recueils où figurent également les rimes, comptines, chansons et jeux de l’enfance. D’autres collectes importantes sont encore organisées et publiées au XXe siècle : en 1938, Marcel Griaule établit un catalogue raisonné des jeux qu’il a observés chez les Dogon du Mali ; en 1959 et 1969, Iona et Peter Opie font paraître deux sommes où sont rapportés et décrits les coutumes et les jeux des enfants des cours d’école ou de la rue anglaises. C’est essentiellement à l’anthropologie américaine que l’on doit, dans les années 1930, les premières analyses consacrées aux enfants et réalisées dans des sociétés exotiques. Elles portent sur les pratiques d’élevage et considèrent les enfants, suivant une perspective culturaliste, avant tout comme des adultes en devenir que les institutions, relayées par les proches, modèlent en vertu de certaines normes collectivement agréées. Les effets de ce courant sont encore perceptibles, à des degrés divers, dans certains travaux contemporains. De son côté, s’appuyant principalement sur une ethnographie des sociétés africaines, l’anthropologie française a privilégié l’étude des représentations autochtones relatives à la procréation et à la grossesse, à la naissance et au maternage du petit enfant ou aux apprentissages du premier âge. Depuis une trentaine d’années cependant, nombre de travaux européens et américains, témoignant d’un changement de point de vue, donnent aux enfants une autre place : celle de membres à part entière de la collectivité, dont les formations culturelles, les actions et les constructions sociales singulières contribuent aux transformations de la société et à sa reproduction.

Les contributions des auteurs de cet ouvrage, tout en s’inscrivant dans la lignée de ces recherches plus récentes, s’en démarquent pourtant en introduisant de nouvelles perspectives nées du constat suivant. Ce que font les enfants, d’un côté libres et insouciants, de l’autre guidés et contraints, est largement imprévisible, particulièrement quand ils jouent. Ils défont souvent ce qu’ils ont fait l’instant d’avant ; il en est de même pour les groupes qu’ils forment, aux amitiés inconstantes. Ils s’aventurent volontiers, jusqu’à la transgression, aux marges de la culture qu’ils sont en train d’assimiler. Les analyses présentées ici montrent cependant comment des cultures très diverses tirent profit à des fins sociales, rituelles et collectives de ces propriétés spécifiques de l’âge d’enfance, que sont la gratuité des actions ludiques au regard des règles organisant la vie collective des adultes, l’intensité et l’énergie qui les animent, son caractère transitoire, son apparente anomie, son insouciance.

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21/11/2013 355 pages 25,00 €
Scannez le code barre 9782271073501
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