Editeur
Genre
Littérature étrangère
L’histoire racontée par Roger Liddiard…
J’ai la prétention d’être la personne idéale pour raconter les choses étranges qui se sont passées à Westease. Et ce, à plus d’un titre. D’abord, j’étais sur place dès le départ ; ensuite, je me suis intimement lié (comme on va le voir) à quelques-unes des personnes concernées ; enfin, je crois pouvoir dire en toute modestie que ma profession – romancier – me donne les moyens de bâtir un récit cohérent et de réaliser un portrait abouti de tous les héros de cette histoire. Lors de ma précédente incursion dans le domaine de la fiction, je ne me suis pas risqué à me lancer dans des aventures aussi rocambolesques, avec des héros aussi spéciaux. D’habitude, je suis plus sobre ! Mais cette fois-ci, je vais pouvoir me contenter de répéter ce dont j’ai été le témoin. Si certains lecteurs ne me croient pas, je n’en serai pas responsable, car je n’ai rien imaginé. Donc, je pressens que ma tâche sera facile. Ce récit devrait aller de soi, au fond, il ne me reste qu’à laisser courir ma plume…
C’est au début de l’année 1946 – en janvier, pour être exact – que je me suis installé à Westease. Après ma démobilisation de la Royal Air Force à l’automne 1945, j’avais passé quelque temps à ne rien faire, si ce n’est savourer cette liberté retrouvée. Et même si j’avais quelques projets précis en tête, je n’étais pas pressé de les mener à terme. En fait, je me sentais dans une position un peu spéciale : un jeune homme sans aucune attache personnelle ni financière. Un père mort, une mère remariée – heureuse. Ni frère ni sœur. Personne à ma charge. Mon père m’avait légué un petit héritage et, surtout, le succès assez extravagant de mon livre (alors que j’avais vingt-quatre ans !) avait non seulement enrichi mon compte en banque de confortables droits d’auteur, mais il incarnait la promesse d’une sorte de mine d’or à la pointe de mon stylo. Il ne me restait qu’à l’exploiter.
Je gardais la tête froide, mais ne pouvais m’empêcher de penser que j’avais trouvé le knack pour capter un public. Ce lectorat qui n’est pas volage, du moins dans ses goûts littéraires. Et qui apprécie qu’on lui resserve à l’infini le plat qu’il a trouvé savoureux. Tous mes amis du monde de l’édition me l’avaient garanti et les propositions des éditeurs pour des publications à venir m’ont confirmé que c’était vrai.
Naturellement, je n’avais pas écrit une ligne de toute la guerre, mais je crois qu’il ne s’était pas passé une journée sans que je songe à mes lecteurs. Au fond, je les considérais un peu comme un chien fidèle pour qui j’aurais mis de côté des os à moelle pendant qu’il attendrait sagement mon retour.
J’avais donc décidé de prendre quatre mois de vraies vacances avant de m’installer définitivement dans un lieu encore indéfini. Quelque part. Comme je ne souhaitais pas consacrer tout mon temps à l’écriture, je me voyais habiter une ferme, pour trouver d’autres centres d’intérêt, mais d’abord pour le bon air, pour l’espace.
Extraits
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